Partie 6 : Une Nature "intelligente"

«Derrière ce que les mots nous donnent à saisir de la réalité, on devine, perpétuellement mouvantes, des strates irréductibles à l’intelligibilité. La rationalité seule ne suffit pas à nous en rendre la substance. Pour percevoir clairement les couchers de soleil sur l’océan il faut mettre en œuvre toutes les facultés de l’âme.»

«Perçu dans sa véritable complexité, l’univers ne peut être comparé ni à l’arène proprette des orbites planétaires chère aux ‘savants’ du Siècle des Lumières ni au fouillis stérile des surfaces planétaires criblées de cicatrices météoritiques. On y verrait plutôt la palette d’un peintre imaginatif, continuellement affairé à produire des effets inédits.»

«La distinction entre les œuvres de la nature et celles des hommes s’estompe. Elles appartiennent à la même tradition créatrice.»

«De quel droit le discours scientifique pourrait-il évacuer tous les autres discours?»

Hubert Reeves, Malicorne

Vous l’aurez compris, je suis de ceux qui sont persuadés, intimement convaincus que, non seulement la nature est intelligente, mais, de plus, de la présence d’un «principe organisateur», d’une «intelligence universelle» qui orchestre l’histoire de l’Univers…

Je me propose de «démontrer» - en sachant pertinemment qu’il ne s’agit pas de raisonnements scientifiques, mais plutôt de «paris métaphysiques» – l’existence d’une intelligence à l’œuvre dans la Nature…

Mais, encore une fois, attention: je ne vois aucune «prédestination» à l'histoire de l'univers; la Nature peut fort bien être intelligente, sans pour autant être prédestinée...

Membre chiridien, œuf amniotique et sortie des eaux

Les premiers Vertébrés apparus au cours de l’histoire de la vie sont des Poissons à squelette souple, cartilagineux (-410 millions d’années), dont les représentants actuels sont les requins, roussettes et autres raies. Les poissons les plus fréquents, apparus plus récemment (-380 millions d’années) présentent un squelette osseux. Toutefois, leurs nageoires sont dites rayonnées, car leur structure est composée de rayons cartilagineux ou osseux, selon le type de Poisson: ces nageoires ne sont donc pas considérées comme des membres.

Le membre chiridien

Les premiers Vertébrés à membres (dits Vertébrés «tétrapodes», c’est-à-dire «à quatre pattes») sont dotés d’éléments squelettiques qui s’agencent en trois segments: bras (ou jambe), avant-bras (ou avant-jambe) et main (ou pied) [on parle de membre chiridien, c’est-à-dire muni de doigts]: il s’agit de Poissons dits «à nageoires charnues». Tous les Vertébrés apparus plus tardivement (Amphibiens, Reptiles, Mammifères, Oiseaux) présentent de tels membres et sont donc tétrapodes.

Pendant longtemps, on a associé l’apparition du membre chiridien à la «sortie des eaux» des Vertébrés, ce membre servant à marcher quand la nageoire sert à nager. Toutefois, il a récemment été découvert que le membre chiridien était apparu… quarante millions d’années avant cette fameuse sortie des eaux. Et certains scientifiques d’affirmer, directement, que la fonction du membre chiridien n’est donc pas la marche! Et pourtant… Pourquoi ne pas considérer les choses sous l’angle suivant: depuis plusieurs dizaines de millions d’années, les seuls Vertébrés qui existent sont aquatiques; toutefois, la terre ferme a déjà depuis longtemps été colonisée par des invertébrés (nombreux Insectes, par exemple) ainsi que par d’abondants Végétaux.
La nature aurait donc été en train de "préparer" une étape essentielle de l’évolution des Vertébrés: leur affranchissement du milieu aquatique; mais il s’agit-là d’un épisode critique, qui sera donc long à mettre en place. On peut donc penser que le membre chiridien commence à se former dans l’eau, afin de pouvoir être suffisamment perfectionné avant de véritablement servir pour la marche: au tout début, il ne sert donc que de nageoire «améliorée»; puis, lorsque certains Animaux dotés de ces membres cherchent à sortir de l’eau (très vraisemblablement pour des raisons alimentaires), ils peuvent se traîner sur le sol à l’aide de ces nouveaux membres. Ensuite, la reptation est véritablement «inventée» (d’où le mot «Reptile», même si de nombreux Amphibiens rampent aussi…), prélude à la marche authentique…

L’œuf amniotique

Un œuf amniotique est tout simplement un œuf «à coquille», souple ou rigide, que l’on rencontre donc chez les Reptiles, les Oiseaux et les Monotrèmes (Mammifères «primitifs», comme l’Ornithorynque) – à l’inverse, les œufs des invertébrés (Échinodermes comme l’oursin et l’astérie ou étoile de mer, Arthropodes comme les Insectes, Mollusques, Vers plats ou annelés…) et de certains Vertébrés (Poissons et Amphibiens) ne présentent pas de coquille.

Chez l’œuf dit amniotique, la coquille joue bien sûr un rôle protecteur; elle permet aussi de maintenir l’humidité du contenu de l’œuf, aspect sur lequel je reviendrai un peu plus loin. Le nom «amniotique» vient de la présence d’une annexe embryonnaire, l’amnios, ou sac amniotique, enveloppe qui se constitue autour de l'embryon et qui a pour rôle de le protéger en maintenant autour de lui un liquide, dit liquide amniotique. L’amnios renforce et complète la protection de l’embryon contre les chocs et la déshydratation.

J’ai déjà abordé, plus haut, l’étape importante que fut l’affranchissement du milieu aquatique par les êtres vivants. L’invention de l’œuf amniotique m’apparaît comme un autre excellent exemple de l’intelligence de la nature, pour résoudre le problème: comment faire pour qu’une espèce animale puisse se reproduire sans être inféodée au milieu aquatique?

En effet, un œuf ‘non-amniotique’ est une structure la plupart du temps fragile, qui ne pourra survivre que dans l’eau ou, en tous les cas, dans un milieu riche en eau (pensons aux nombreux Insectes qui pondent dans des fleurs ou des fruits, ou dans d’autres êtres vivants qui serviront de nourriture aux larves).

Article écrit par David EspessetChercheur indépendant en philosophie des sciences, épistémologie et évolution non darwinienne.