La vie d'une Éphippigère

Vers la mi-septembre et durant tout le mois d’octobre, un étrange insecte se fait remarquer dans les arbustes et les buissons des pinèdes ou des garrigues. Alors que les cigales ont terminé leur concert depuis quelques semaines déjà, ce sont des tiziiii qui font leur apparition. Ces cris viennent des Ephippigères. Ils annoncent de début d'une saison des amours qui se poursuivra durant tout le mois d’octobre.

Tizi, la sauterelle-araignée

Les Éphippigères ont été nommées de multiples façons en fonction des régions. Le nom de Boudrague ou Boudraga vient par exemple du Var et désigne toutes les sauterelles dodues à longues pattes. Leur embonpoint est à l’origine de leur nom occitan Pantigue. Parmi les sobriquets les plus fidèles à la réalité, c’est à la Bourgogne que j'attribuerai un prix avec le nom Tizi qui décrit à merveille ce qui est une des caractéristiques les plus frappantes de cette sauterelle, son chant que l’on entend avant même de la voir.

Pour compléter ce concours d’appellations de bêtes inconnues, je me permettrais d’ajouter celui de “sauterelle-araignée” inspiré des réactions des jeunes écoliers (et adultes) confrontés à l’animal aux longues pattes.

Éphippigère mâle
Éphippigère mâle

Une sacrée bestiole !

Il y a deux façons de faire connaissance avec l’Éphippigère, soit elle se présente à vous en traversant un chemin ou en se trouvant sur le feuillage d’une plante devant vos yeux, soit vous l’entendez chanter dans la colline. Dans le second cas, en localisant le chant, avec beaucoup de patience, votre regard croisera peut-être, en haut de la branche d’un arbuste ou à ses pieds, le fameux chanteur, car il s’agit toujours d’un mâle. Dans les deux cas, pour votre première rencontre, la surprise sera de taille : l'abdomen enflé, les pattes longues, les antennes effilées et sur le dos une structure rugueuse en forme de selle de cheval couvrant des moignons d’ailes, l’insecte est un original.

Comme pour les autres sauterelles, vous pourrez facilement distinguer le sexe, les femelles possédant, à l’extrémité de l’abdomen, une longue pointe ressemblant à un dard monstrueux (qui n’en est pas un, voir la suite).

Si vous voulez tenter la capture, celle-ci est relativement facile, car l’insecte ne saute pas. Par contre, prenez quelques précautions. Il arrive que l’insecte morde, donc poussez le délicatement dans une boite-loupe et si vous le prenez en main, gardez la paume bien tendue. Ne laissez pas un doigt s'approcher des mandibules. Bien que ne chantant pas à des fins de reproduction, vous serez surpris en manipulant une femelle par sa capacité à striduler comme les mâles.

De savants conflits autour des espèces et de leur famille

Chez les Éphippigères il n’y a pas que les noms populaires qui varient, il est également possible de rencontrer, pour une même espèce, deux noms latins comme pour la plus commune d’entre elles l’Éphippigère des vignes. Celle-ci est tantôt nommée Ephippiger diurnus (par l’INPN) ou Ephippiger ephippiger (par Fauna Europaea). Pire encore, les divergences s’étendent jusqu’à la classification puisque ces insectes sont tantôt classés dans la sous-famille des Bradyporinés elle-même rangée dans la famille des Tettigoniidés ou alors placés directement dans une famille à part, celle des Bradyporidés.

Bref, les choses ne sont pas encore bien claires, mais cela n’a que peu d’importance, l’essentiel est avant tout de savoir les reconnaître. À noter qu’il existait une Ephippigère porte-croix reconnaissable à la présence d'une tache noire en forme de croix à l’avant du pronotum. Nommée anciennement Ephippiger cruciger, celle-ci n’a plus de statut taxonomique clair et elle a disparu des livres récents, devenant simplement une variante de l'Éphippigère des vignes.

Les 3 espèces présentes en Provence

Ephippigère femelle
Ephippigère femelle

Dans l’ouvrage “Orthoptères de France, Belgique, Luxembourg et Suisse” paru en 2015, qui est à la fois le plus récent et le plus complet pour la France, c’est la sous-famille des Bradyporinés qui est mentionnée. Celle-ci est caractérisée par des sauterelles de grande taille, dodues, au front arrondi, aux antennes insérées au bord inférieur des yeux (et non entre les deux yeux) et au pronotum en forme de selle de cheval. J’ajouterais comme point commun pour les trois espèces qui nous intéressent, une couleur noire au niveau de la nuque (occiput) visible lorsque l’animal penche la tête.

Selon cet ouvrage, en restant dans les terres et collines de Provence, on pourra trouver deux espèces courantes : l’ Éphippigère des vignes (E. diurnus) et l’Éphippigère terrestre (E. terrestris). La dernière, beaucoup plus rare, est l’endémique Éphippigère provençale (E. provincialis). Faisant partie des espèces vulnérables, elle est inscrite sur 3 listes rouges (Liste rouge des orthoptères de Provence-Alpes-Côte d’Azur, liste rouge européenne des espèces menacées et la liste rouge mondiale des espèces menacées).

Distinguer les trois espèces

Ce qui suit, je vous le rappelle, ne concerne que les trois espèces présentes dans les terres et collines de Provence et n’est donc valable que dans cette zone limitée. N’oubliez pas non plus que les adultes se rencontrent à partir du mois d'août et jusqu’à la fin de l’automne sauf pour l'Éphippigère provençale qui est plus précoce (à partir de juin). Des individus adultes trouvés au printemps appartiennent obligatoirement à d'autres genres.

En ce qui concerne la taille (mesurée sans les antennes et sans l’oviscapte) la plus grande des trois est l’Éphippigère provençale (E. provincialis) avec jusqu’à 4 cm de long alors que les deux autres ne dépassent pas les 3 cm.

Ce critère ne suffisant pas pour distinguer toutes les espèces, on va se baser sur des caractères plus précis en commençant par séparer mâle et femelles.

Reconnaître les mâles

Pour les mâles il faudra observer l’extrémité de l’abdomen en vue de dessus. C’est dans cette zone que sont situés les deux cerques qui ont vaguement l’allure de mandibules. Au-dessus se situe une petite pièce, la valve anale (l'épiprocte) dont les bords sont parfois recouverts par les cerques.

  • Chez l’Éphippigère provençale (E. provincialis), la valve anale est rectangulaire, courte et ses angles sont arrondis. Elle est visible en totalité. Les cerques, nettement plus longs que l'épiprocte, ont une base large et une forme triangulaire, en crochet à la pointe et avec une forte dent à la base.
  • Chez l’Éphippigère des vignes (E. diurnus), les cerques, plus étroits et cylindriques, portent sur le côté interne une dent vers le milieu de leur longueur. La valve anale aux angles prolongés en pointes, dépasse nettement le milieu de la longueur des cerques ainsi que leurs dents internes.
  • Chez l’Éphippigère terrestre (E. terrestris), la valve anale dont la longueur atteint ou dépasse un peu la moitié de celle des cerques, a ses bords recouverts par ces derniers, ce qui ne laisse visible qu’une portion triangulaire à pointe arrondie. Les cerques ont sur une grande partie de leur longueur, une forme rectangulaire, puis se séparent en deux pointes dentées : la première tournée vers l’intérieur et la seconde, plus longue, orientée vers l’extérieur. À ces particularités s’ajoute, côté tête vue de profil, un fort relief en forme de nez (le fastigium) au niveau du front.
Extrémité de l'abdomen d'un mâle Ephippiger diurnus et schémas représentant la forme des cerques et valves anales des autres espèces (d'après Chopard, L. (1951). Faune de France Vol 56—Orthopteroïdes)
Extrémité de l'abdomen d'un mâle Ephippiger diurnus et schémas représentant la forme des cerques et valves anales des autres espèces (d'après Chopard, L. (1951). Faune de France Vol 56—Orthopteroïdes)
Reconnaître les femelles

Pour les femelles, qui, je vous le rappelle, sont pourvues d'un long oviscapte, c’est à la fois du côté de la tête (sur le front) et de l’extrémité de l'abdomen qu’il faudra observer. On devra observer l'extrémité de l'abdomen (derniers segments) par dessous dès que la taille de l'insecte dépassera nettement 3 cm.

  • Chez l’Éphippigère provençale (E. provincialis) femelle, qui dépasse nettement 3 cm de long (sans compter l'oviscapte) vue de dessous, l'élément déterminant se situe au niveau du dernier segment abdominal qui possède deux gros bourrelets latéraux, absents chez les autres espèces. L’oviscapte est légèrement courbé.
  • Pour les femelles ne dépassant pas nettement 3 cm de long on utilisera des critère plus faciles à observer :
    • Chez l’Éphippigère terrestre (E. terrestris), côté tête, vue de profil le front possède un fort relief en forme de nez (fastigium), l’oviscapte est presque droit et sa longueur correspond à 3 fois celle du pronotum
    • Chez l’Éphippigère des vignes (E. diurnus), l’oviscapte est légèrement courbé, sa longueur correspond à 2-2,5 fois celle du pronotum et le front n’a pas relief marqué.
A gauche extrémité de l'abdomen de l'Éphippigère des vignes, à droite, bourrelets spécifiques de l'Éphippigère provençale
A gauche extrémité de l'abdomen de l'Éphippigère des vignes, à droite, bourrelets spécifiques de l'Éphippigère provençale*

*(d'après Chopard, L. (1951). Faune de France Vol 56)

Fastigium peu prohéminent vu de face chez l'Éphippigère des vignes
Fastigium peu prohéminent vu de face chez l'Éphippigère des vignes