Le Rougegorge familier : la vie d’un petit sauvage

Habitué à l’observation des insectes, j’ai longtemps hésité avant de me lancer dans un article parlant de la vie d’un oiseau aussi populaire. Dans chaque discipline il y a des maitres pédagogues, des passionnés ayant consacré leur vie à l’observation d’une espèce ou d’un groupe faunistique et qui ont su rendre accessibles leurs savoirs. Chez les insectes nous avons Jean-Henri Fabre et ses Souvenirs entomologiques ; chez les oiseaux, Paul Géroudet, ornithologue suisse, était et restera la référence. Cet article s’est donc naturellement inspiré des écrits de ce dernier, des pages que la spéculation autour des livres scientifiques épuisés les plus récents a rendu le contenu malheureusement hors de portée du public (son dernier ouvrage se vend 800 € !). Dans la suite de cet article, j'appellerai l'oiseau par son nom familier qui est (en tout cas dans le Sud) simplement Rougegorge.

1. Premiers contacts

À peine arrivé près de son royaume, vous entendrez ses tic-tic-tic secs persistants. Un regard vers les buissons où les arbres et vous le verrez se déplacer, se rapprocher ou s’éloigner de vous. Vous êtes entré chez lui sans son autorisation et ils sous observe. Se plaint-il ? a-t-il peur ? Ses cris d’alertes sont sans doute un mélange des deux ressentis. Après ces instants d’alerte, en poursuivant votre chemin vous entendrez son chant, composé de nombreuses notes courtes, rapides qui semblent s’écouler puis s’arrêtent pour reprendre de plus belle et ainsi de suite. Ce chant est difficile à décrire, mais sa tonalité et ses séquences vous aideront à le mémoriser. En avançant sur votre parcours, vous entendrez de nouveaux cris, signe que vous venez de passer une autre porte donnant accès à un nouveau propriétaire de domaine. Point de panneau, aucun grillage, mais un signal en tic tic c’est ainsi que l’on fait connaissance avec le Rougegorge.

Écouter : le cri*

et le chant*

(* sources audio Rougegorge familier · Erithacus rubecula · (Linnaeus, 1758) - xeno-canto : Sharing wildlife sounds from around the world )

2. Le reconnaitre

Rougegorge adulte
Rougegorge adulte

Si le chant suffit à signaler sa présence, il saura aussi se distinguer facilement des autres oiseaux par les caractères suivants :

  • Un corps d’une longueur d’environ 14 cm, à l’allure rondelette, porté sur de longues pattes fines ;
  • un bec sombre fin et pointu ;
  • des yeux noirs, ronds
  • et une couleur rouge orangé qui couvre la face et descend jusqu’à la poitrine. Le reste du corps étant brun.

Vu de plus près, le brun du plumage offre des nuances brun olive plus foncées sur le dos et passant au gris clair en dessous. Ses ailes sont courtes, disposées le plus souvent la pointe vers le bas. Cette parure est la même chez les deux sexes lorsqu’ils sont adultes, de même que le comportement territorial et le chant.

3. La vie des Rougegorges

La solitude de l’hiver

Qu’il soit sédentaire ou venu du nord passer la mauvaise saison plus au sud, le rougegorge passe l’hiver seul sur le territoire qu’il défend. L’hiver, il ajoute des fruits sauvages à sa nourriture habituelle qu’il cherche au sol, parmi les feuilles mortes, sur le tas de terre retourné par le sanglier où au beau milieu de la piste ensoleillée. Vers, larves, faucheux ou araignées, tout est bon pour lui donner l’énergie nécessaire à sa survie. Mais gare à lui si dans sa quête il en oublie les frontières invisibles. Le propriétaire du voisinage lui lance alors des cris de rappels et peut même venir à sa rencontre pour lui montrer son poitrail rouge gonflé. En général la dispute est de courte durée et chacun d’eux rejoint ensuite son espace.

Mars-avril : les changements de territoires

La migration des nordistes
Après un hiver passé seuls avec des voisins venus d’ailleurs, l’arrivée des beaux jours est marquée chez les Rougegorges par le retour au pays des volatiles expatriés dès le mois de mars. Ce voyage retour se fait en plusieurs jours, avec des déplacements de nuit à une vitesse de près de 50 km/h.

Les œufs de Rougegorge
Les œufs de Rougegorge

Les déplacements des femelles locales
C’est un peu avant cette migration que les femelles sudistes partent à la recherche d’un mâle sédentaire. La femelle se déplace alors sur les terres de monsieur et est accueillie comme toute étrangère par des cris et chants destinés à l’expulser. Mais le mâle s’aperçoit vite qu’il a affaire à plus tenace qu’à l’accoutumée ; l’oiseau inconnu n’hésitant pas à revenir à la charge. C’est sans doute à ce moment-là que le propriétaire des lieux réalise enfin qu’il reçoit la visite d’une femelle. Les tensions finissent enfin par disparaitre et s’en suit une visite du domaine par madame accompagnée par monsieur. Dans la période prénuptiale et jusqu’à la naissance des petits, le mâle prendra souvent soin de la femelle en lui offrant des proies comme il le ferait lors du nourrissage des oisillons.

Avril : la confection du premier nid

Lorsque le mois d’avril arrive, toujours entretenu par monsieur, la femelle va s’occuper seule de la confection du nid. Elle choisit une cavité dans un talus, une anfractuosité ou tout autre endroit caché non loin du sol ou sur celui-ci. Si le territoire est habité par l’homme, le nid peut être établi beaucoup plus en hauteur, à l’abri des potentiels animaux comme les chats. Vers la mi-avril, le nid fin prêt, la femelle y dépose ses œufs, 5 à 7 en moyenne. De couleur blanc crème, tachée de rouge, ils mesurent de 1,5 cm à un peu moins de 2 cm ce qui correspond environ à la moitié d’un œuf de caille.

Mai : Les naissances et le nourrissage
Les oisillons au nid
Les oisillons au nid

Environ quinze jours après la ponte, après la couvaison, les naissances ont lieu et s’en suit la période du nourrissage assurée par les deux parents. Le nid est maintenu propre par les adultes aidés par les petits qui, si besoin, excrètent un petit sac formé d’une membrane contenant leur fiente saisi et jeté par les parents. C’est ainsi le bec ouvert tapissé de jaune ou le derrière en l’air que les petits accueillent les arrivées de leurs parents. Ce temps dure de deux à trois semaines, période durant laquelle les chants se font rares, les parents n'ayant plus de temps pour des disputes de voisinage.

Juin : une deuxième couvée !

Alors que les jeunes sont encore dans le nid, la femelle va, dès le mois de juin, lancer une deuxième nichée. Monsieur s’occupe alors tout seul de l’alimentation des premiers oisillons pendant que madame couve au second nid. Le temps que les naissances aient lieu, les premiers-nés auront enfin quitté le nid et le mâle rejoindra alors la femelle pour le second nourrissage.

Du noir au rouge, la métamorphose des jeunes
Évolution du plumage
Juvénile (gauche), postjuvénile (centre) et adulte(droite) Rougegorges

C’est vers l’âge de cinq semaines que les jeunes deviendront indépendants et partiront faire leur vie sur leur propre territoire. Leurs couleurs d’abord très discrètes vont progressivement se rapprocher de l’aspect adulte.

Couverts d’un duvet noirâtre au début de leur vie, les jeunes vont rapidement développer un plumage juvénile, marron foncé mêlé de brun jaune. S’en suit son remplacement progressif par un plumage se rapprochant de plus en plus de la parure finale au cours de la période postjuvénile. La première phase de ces changements se manifeste par l’apparition des plumes rouge orangé typiques de l’espèce.

Séparation et fin de vie

Notre couple, après s’être occupé de sa douzaine de petits, va finir par se séparer. La femelle repart dans ses quartiers ou sur un autre territoire jusqu’au printemps suivant.

rougegorge adulte

Ne pensez pas qu’avec toutes ses naissances les rougegorges finissent par envahir les milieux. Les œufs pondus près du sol risquent d’être pillés par les fouines et les belettes. Une étude a montré qu’en moyenne, sur les 12 œufs pondus par la femelle, 9 vont éclore, 7 jeunes prendront leur envol et seulement 2 survivront à la première année pour atteindre la maturité sexuelle.

Si tout se passe bien, un Rougegorge vivra entre 3 et 5 ans en moyenne, une vie souvent écourtée par les chats, fouines ou renards alors que l’oiseau recherche sa nourriture au sol ou lors des hivers rudes, par le froid ou le manque de nourriture sur les sols gelés.

E. PENSA