L’Éphippigère des vignes : récit d’une vie.
Les naissances printanières
Dans le Midi, c’est au début du mois de mai que naissent les premières Éphippigères. Elles sortent alors du sol et vont rechercher leur premier repas. À cette période, c’est l’optimum des floraisons et il est facile de trouver dans les capitules de Pissenlit et de Crépis le nectar et le pollen nécessaires à leur croissance.
Les jeunes sauterelles ont déjà de longues pattes, mais leur corps semble plus allongé, plus aplati que celui de l’adulte. À cette période, avec elles, se rencontrent de nombreuses autres espèces, notamment les très abondantes jeunes sauterelles vertes et les très petites Leptophyes ponctuées (Leptophyes punctatissima) par exemple. Ce sont ces dernières qui évoquent le plus, le corps miniature des Ephippigères adultes, mais leur abondante ponctuation noire couvrant le corps y compris sur les pattes qui peuvent en être zébrées, évite la confusion. En fait, à ce jeune âge, c’est la couleur sombre de l’occiput déjà visible qui est l’élément le plus fiable pour leur reconnaissance.
Les étapes discrètes vers la vie adulte
Pendant toute la période précédant leur vie adulte, les Éphippigères sont relativement discrètes. Ne sautant pas et étant incapables de chanter, elles passent leur vie au milieu du feuillage des buissons et arbustes et ne se dévoilent que rarement. Elles passeront ainsi par une succession de phases au cours desquelles elles grossiront, effectueront une mue puis se remettront à grossir, ceci jusqu’à la dernière mue appelée mue imaginale après laquelle elles deviennent adultes (imago).
Les premiers chants
C’est généralement au mois de septembre que les Éphippigères semblent faire leur réapparition. On commence alors à entendre les premiers tizis dévoilant la présence des mâles. Après un mois de septembre assez timide, octobre est la pleine saison des amours et il rend la découverte plus facile des femelles.
De drôles d’accouplements
En octobre, vous aurez peut-être la chance de découvrir des accouplements. Le mâle, posté sur une branche ou le long d’un tronc d’arbre, stridule en frottant ses moignons d’ailes. Attirée par le chant, une femelle le rejoint et se positionne au-dessus de lui. À l’étape suivante, le mâle saisit avec ses cerques l’extrémité de l’abdomen de la femelle. Il va ensuite, après de longues minutes de contraction de son abdomen, son épiprocte relevé, faire sortir une énorme masse blanche qui se colle contre l’orifice génital de madame.
L’accouplement terminé, le couple se sépare et la femelle repart avec son long amas collé sous le corps. Le volume important et l’aspect donnent l’impression que ce sont de gros œufs.
Un bon repas, le temps d’un transfert
La masse gélatineuse est en grande partie constituée d’une portion opaque appelée spermatophylax, suivie (et c’est la partie collée à l’abdomen) du spermatophore composé de sphères translucides légèrement teintées de rose. Ce sont ces dernières qui contiennent les spermatozoïdes.
Après l'accouplement, la femelle passe de longues minutes (ou heures) à mastiquer et manger le spermatophylax et pendant ce temps, du côté de son orifice génital, le contenu du spermatophore est lentement transvasé.
Ainsi, comme pour les autres sauterelles, le passage des gamètes mâles dans le corps de la femelle ne se fait qu’après la séparation du couple. La femelle finissant son repas par le spermatophore, plus le spermatophylax est grand et plus les chances de réussite de la fécondation de la femelle par le mâle sont élevées.
La ponte
La femelle nouvellement fécondée va, quelques jours plus tard, pondre ses œufs. Pour cela, elle se déplace vers un endroit où le sol est suffisamment meuble et en courbant fortement son abdomen, enfonce son oviscapte obliquement dans la terre. Les œufs passent alors de son abdomen au sol par l’étroit conduit de sa tarière. Une centaine d’œufs étroits et allongés sont ainsi enfouis.
Et le cycle recommence, mais pas pour tout le monde ..
Étrangement, les œufs pondus en automne ne vont pas tous se développer au même rythme. Certains donneront naissance à de nouvelles sauterelles au printemps suivant, mais d’autres vont interrompre leur développement et patienter une année de plus. Ainsi peuvent se retrouver dans la nature des générations d’Éphippigères issues de pontes ayant eu lieu quelques mois avant et plus d’une année auparavant.
Fin de vie
En novembre, le chant des Éphipigères mâles va se faire de plus en plus rare pour finalement disparaitre après les nuits de gel de décembre mettant fin à la vie de ces insectes.
Le gros appétit et les invasions passées.
Pour atteindre leur taille adulte, les Éphippigères ne se contentent pas de nectar et de pollen, elles vont rapidement passer à une alimentation plus consistante à base de feuilles et d'insectes. Jusqu'au début des années 2000, l'Éphippigère provençale (E. provincialis) pouvait pulluler certaines années au point de faire d'importants dégâts dans les vignes et se retrouver en masse sur les routes. À cette époque les nombreux individus écrasés par les voitures pouvaient être mangés par leurs congénères.
De l'invasion à la disparition de la Boudrage provençale
L'époque des invasions des Éphippigères provençales semble aujourd'hui révolue, les pesticides utilisés pour les exterminer, les nouvelles routes et les nombreuses cultures transformées en villas et lotissements ont sans doute provoqué un effondrement de leurs populations et une fragmentation de leurs milieux de vie.
La mal-aimée a gardé, aujourd'hui encore, sa réputation d'envahisseuse malgré qu'elle soit considérée comme une espèce en danger par les scientifiques. Endémique du sud de la France, sa disparition de cette zone serait une perte irréversible pour la biodiversité de notre planète comparable à celle de la disparition des Ours polaires, malheureusement, son passé d'envahisseuse rend difficile sa protection auprès des locaux.