La vie de l'Agélène à labyrinthe (Agelena labyrinthica)
Installée dans les rameaux piquants d'un buisson ou quelques centimètres au-dessus d'une touffe d'herbe desséchée, l'Agélène est, de toutes nos araignées, celle dont la toile est la moins discrète. Il suffit de se déplacer dans un milieu mêlant herbes hautes et buissons pour la trouver au bout de quelques minutes de recherche.
Le piège
Si les toiles sont si visibles, c'est parce que notre araignée est une énorme productrice de soie, donnant une construction d'une densité remarquable. Oubliez la dentelle des épeires délicatement posée à la verticale dans l'espace libre entre deux rameaux, notre araignée tisse à l'horizontale en s'adaptant aux objets présents sur le parcours. Herbes, branches, et tiges sont contournées tout en servant de points d'appui donnant une nappe traversée par ces obstacles. En fait, le fonctionnement de la toile va de pair avec ces supports inesthétiques. Au-dessus de cet épais rez-de-chaussée se trouve tout le mécanisme du piège. À la manière des multiples faisceaux infrarouges qui s'entremêlent pour protéger le trésor d'un coffre-fort, l'Agélène tire une multitude de fils obliques et entrecroisés au-dessus de la nappe. C'est à l'étage qu'elle dispose son labyrinthe comme les cordages d'un voilier. L'insecte qui, par mégarde, se cogne à un des fils, aussi agile soit-il, va se retrouver entraîné sans aucune prise possible vers le bas de la toile, se cognant à d'autres fils s'il tente de partir. On pourrait imaginer qu'une fois arrivé sur la nappe, de fines gouttelettes collantes finissent par sceller son destin. Il n'en est rien, la toile n'est pas collante et son épaisseur peut permettre à l'animal de reprendre ses appuis pour fuir. Mais ses chances de survie, sur la surface horizontale, sont très minces, l'Agélène bat tous les records de vitesse pour donner le premier coup de crochet au nouvel arrivant. Très farouche, l'araignée mettra souvent du temps avant de détaler sur le criquet déposé en offrande sur son piège, elle fera plusieurs visites éclair pour injecter au gibier ses doses de venins. Pour sa tranquillité l'Agelene aime prendre ses repas chez elle, à l'abri, mais elle prend soin de jeter les restes de ses repas à l'extérieur de sa zone privée.
L'issue de secours
La grande particularité de la toile des Agelenes est de disposer dans un coin d'une sorte de tunnel, dont l'entrée a la forme d'un petit entonnoir. Ce cylindre de soie, encore plus épais que la nappe dépasse facilement une dizaine de centimètres pour 2-3 cm de diamètre. C'est au sommet de celui-ci que l'araignée monte la garde, prête à bondir à la première chute de proie. Cet espace abrité sert de salle de repas et, plus tard, de chambre nuptiale . Vous constaterez rapidement que l'araignée est très craintive et si elle repère un intrus (vous) , elle peut très facilement disparaitre. Le fond de son tunnel est bâti pour permettre une fuite rapide vers les herbes supportant la toile. C'est donc d'un tunnel ouvert vers le sol, un toboggan dont l'issue est camouflée à la fois par la nappe et par l'enchevêtrement d'herbes, de feuilles ou de branches qui constituent son embouchure.
Le tour du propriétaire.
Même si la toile, suffit à distinguer l'espèce, profitons d'une prise de repas à l'extérieur ou d'une longue séance d'injection mortelle pour, observer l'allure de la sauvage. La première impression sera celle d'une grande araignée aux motifs contrastée dont le corps, comme il se doit, est formé d'une partie avant, le céphalothorax sur lequel sont attachées 4 paires de longues pattes poilues. À l'arrière se trouve l'abdomen, tantôt dodu et bien ovale ou bien presque rectangulaire en période de famine ou après la ponte. Cette partie du corps est la plus vivement colorée avec une série de bandes claires sur fond sombre, disposées en chevrons. À l'extrémité du corps se trouvent deux longues pointes inhabituelles chez les araignées qui sont en fait les filières par lesquelles sort la soie. Le céphalothorax est, lui, de couleur brune avec deux bandes sombres sur ses côtés.
Mâle ou femelle ?
Si beaucoup d'araignées ont des femelles beaucoup plus grandes que les mâles, chez l'Agélène, il n'en est rien. C'est en observant l'avant du corps que l'on pourra déterminer le sexe. La présence de ce qui ressemble à deux courtes pattes articulées fines jusqu'à leur extrémité (pédipalpes) sera le signe d'une femelle alors que si ces mêmes appendices se terminent en s'épaississant en gant de boxe c'est un mâle.
Les deux sexes disposent de 8 yeux disposés en deux lignes horizontales presque parallèles.
Rapprochements d'août
N'ayant jusqu'à présent pas eu la chance d'observer la rencontre des deux sexes, les affûts en plein soleil n'étant pas de tout confort en Provence, j'ai cherché ce que pouvait m'offrir la littérature naturaliste à ce sujet. Étrangement, cet épisode est absent des écrits de Fabre et il faut picorer à droite, à gauche pour trouver des fragments d'histoire.
À la manière des Lyniphidees, autres bâtisseuses de toiles en nappes décrites dans un précédent article, c'est Monsieur qui se déplace chez Madame et doit faire preuve d'une patience et d'un sang-froid honorables pour arriver à l'approcher. Arrivé près de la toile, il déclare sa présence et son statut de "non-proie" en tapotant régulièrement la toile de ses pattes. À la moindre hésitation, si la femelle n'est pas prête ou si l'absence de proie a duré trop longtemps pour l'occupante de la toile, la visite peut se terminer sur un drame pour le mâle. Cet instinct cannibale est, sans doute, modéré par la présence de phéromones sur les poils du mâle qui servent de signaux de reconnaissance d'un congénère. Lorsque tout se passe bien, après plusieurs dizaines de minutes d’approche, la femelle va finir par accepter l'accouplement. À la manière des Lyniphidées, c'est avec l'extrémité renflée des pédipalpes, appelée bulbe copulateur, que le mâle, alors sous la femelle, va déposer sa semence à plusieurs reprises dans l'épigyne de la femelle.
Une fois l'accouplement terminé, le mâle a tout intérêt à déguerpir rapidement avant que Madame ne le déguste.
Nouvelle vie, nouvelle toile !
Quelque temps après l'accouplement, la femelle, dont l'abdomen a gonflé sous la pression des œufs, va préparer sa future vie de mère et commencer par un déménagement. Si, jusque là, elle pouvait facilement déplacer sa toile ou la reconstruire après le mauvais temps, sa future ponte va la contraindre à ne plus bouger de son piège. Aussi prend-elle le soin de se poser dans un endroit plus à l'abri en prévision de la mauvaise saison pour tisser ce qui sera à la fois le cocon et sa dernière demeure. Fini les grandes nappes largement étalées, c'est un nid de la taille d'un œuf de poule, surmonté d'un entonnoir où sont disposés quelques fils servant de pièges, qui sera construit. Dans celui-ci elle aura disposé et entouré une bonne centaine d'œufs de plusieurs épaisseurs de toile. La paroi du nid-appartement est, quant à elle, fabriquée avec un mélange de soie et de matériaux trouvés sur place (grains de sable, fragments de coquilles d'escargot, etc.) .
Au final c'est un cocon plus ou moins ovale de plusieurs centimètres d'épaisseur qu'elle va fabriquer pour protéger sa descendance et qui lui servira de dernière demeure. Comme sa précédente toile, en plus de l'aire de chasse, réduite, la construction est équipée d'une issue de secours. Sa nouvelle vie est rythmée par d'incessantes allées et venues, au cours desquelles elle inspecte le bon état de la ponte en tâtant l'enveloppe extérieure et répare régulièrement les parois du nid. C' est ainsi qu'elle protégera sa ponte jusqu'à l'éclosion en septembre-octobre.
De la nurserie à l'envol
Après leur naissance, les petits resteront ensemble à l'abri alors que la fraîcheur de l'automne et la vieillesse finiront par épuiser la mère. Cette période de cohabitation fraternelle sans alimentation n'est, encore une fois, rendue possible que par les phéromones portées par les poils des jeunes.
Vers la fin de l'hiver en février-mars, les jeunes araignées vont quitter l'enveloppe protectrice.
À leur sortie elles vont profiter du buisson qui servait d'abri à ce qu'il reste de la toile maternelle pour se hisser au plus haut de ses rameaux et prendre leur envol emporté par leur première toile.
Dangereuses absences
La femelle semble prendre de grandes précautions en tissant un cocon de double épaisseur, renforcé à l'extérieur et en montant minutieusement la garde. C'est pourtant après sa confection qu'elle va sans s'en apercevoir mettre le plus en danger ses œufs. Si, arrivées à l'âge adulte, hormis l'épisode du rapprochement des sexes opposés, les Agélènes ont peu à craindre d'éventuels prédateurs grâce à une efficace issue de secours, c'est avant l'éclosion des œufs que le danger est le plus grand. La période de la ponte de l'araignée coïncide avec celle de plusieurs espèces de guêpes parasites dont la particularité des femelles est d'être équipées, au bout de l'abdomen d'une longue aiguille avec laquelle elles transpercent le cocon, en l'absence de l'Agélène, pour y déposer les œufs. La suite est toujours la même, les larves de guêpes éclosent avant les araignées et font un festin de la ponte si bien emballée. Ainsi la visite discrète de ces hyménoptères peut ruiner tous les efforts de la femelle.