Le Romarin : le Méditerranéen dévoile ses secrets

Dans un article, déjà ancien, consacré au Romarin, je vous présentais sommairement ses fleurs. Celui-ci sera, en quelque sorte, sa mise à jour avec une approche plus poussée reposant sur des observations réalisées sous une loupe binoculaire. Voici donc quelques secrets cachés des fleurs de ce buisson fréquent dans les milieux secs et ensoleillés.

1. Le Romarin, les deux garrigues et le maquis

Lorsque les forêts de Pins d’Alep, de Chênes verts, pubescents ou lièges sont les proies des incendies, les arbres calcinés cèdent la place à des végétations plus basses, d’abord herbacées puis progressivement composées d’arbrisseaux. En France, ces milieux typiques du pourtour méditerranéen sont regroupés sous le nom de matorrals. Les matorrals que l’on trouve en Provence sur sol calcaire sont appelés garrigues, en opposition avec les maquis qui apparaissent sur sol acide (photo 1). Très exposés au soleil et soumis aux hautes températures du fait de la disparition du couvert arborescent, ces milieux ne peuvent être colonisés que par les plantes les plus résistantes à ces conditions difficiles où le manque d’eau élimine les moins adaptées.
Si l’acidité du sol va expliquer la présence des bruyères dans les maquis, sur calcaire, la nature meuble ou au contraire compacte des roches aura son importance pour le Romarin. Ainsi, celui-ci dominera les garrigues reposant sur des roches friables (marneuses) permettant un enracinement profond alors que le Chêne kermès se contentera des milieux les plus difficiles, où les rochers compacts affleurent et le sol se fait rare.
Sur les anciennes restanques déboisées où le sol est profond, c’est naturellement le Romarin qui dominera. On distingue, de ce fait, la garrigue à Romarin de celle à Chêne Kermès, chacune d’elles reflétant des conditions édaphiques (= nature du sol) différentes. Dans les maquis poussant sur des roches friables, le Romarin pourra trouver également sa place.

Photo 1 - Deux matorrals : le maquis à gauche et la garrigue à droite
Photo 1 - Deux matorrals : le maquis à gauche et la garrigue à droite

2. Méditerranéen jusqu’au bout de ses feuilles

Il n’est pas étonnant de retrouver le Romarin dans les collines où le soleil épuise un peu plus chaque jour d’été les réserves en eau. Le buisson possède presque toute la panoplie des adaptations possibles à la sécheresse. Une plante a besoin, pour vivre, de faire circuler sa sève des racines jusqu’aux feuilles. Ce mouvement a pour moteur une évaporation (évapotranspiration) de l'eau foliaire et on peut se poser la question : comment font les végétaux poussant sur sol presque sec ?

Le Romarin illustre parfaitement ce que l’on appelle les adaptations à la sécheresse. Il possède tout d’abord des feuilles étroites et relativement courtes, ce qui leur donne une surface faible limitant l’évapotranspiration. Mais ce n’est pas tout, en retournant la feuille, vous remarquerez qu’elle porte une bande blanche bordée de bourrelets vert foncé (photo 2).

Photo 2 - Feuille de Romarin : r. recto , v. verso, cp. en coupe transversale
Photo 2 - Feuille de Romarin : r. recto , v. verso, cp. en coupe transversale

Contrairement à une feuille classique bien plane, celle de notre buisson a des bords repliés en dessous. Lorsque l’eau vient à manquer plus que d’habitude, à la fin d’un épisode de sécheresse, le buisson resserre au maximum ses feuilles pour réduire d’autant les assauts du soleil (photo 3). À cette remarquable adaptation, s’ajoute la structure spéciale de la face inférieure blanche. Cette couleur est due à la présence de poils très serrés, dont la forme est, elle aussi, particulière. Le poil du romarin est ramifié à la manière d’un tronc portant des branches principales ; le dessous de la feuille, à l’ombre, est en quelque sorte couvert d’une “forêt” de poils qui retient l’humidité (lorsque celle-ci est présente) et la protège de la déshydratation. C’est sur ce côté que sont situés les stomates, orifices à ouverture variable permettant les échanges gazeux de la feuille et par lesquels l’évapotranspiration se fera.

"Photo 3 - Montage photo montrant la variation de la largeur des feuilles du Romarin entre la période sèche estivale et après les pluies de septembre

Mais l’adaptation va encore plus loin chez le Romarin, car, mêlées aux poils ramifiés, des glandes (poils glanduleux pour certains ouvrages) vont diffuser la journée leur production nocturne d’essence aromatique. L’évaporation de celle-ci aura pour effet de rafraîchir les feuilles à la manière d’un brumisateur, ce qui réduit encore l’impact du soleil.

Photo 4 - Fleur isolée de Romarin
Photo 4 - Fleur isolée de Romarin

3. Au cœur de la fleur

Concentrons-nous à présent sur la seconde réussite du Romarin : sa fleur (photo 4). Son étude demande de connaitre la période de floraison et ce n’est pas chose facile. Une année, vous le trouverez en fleur, ici, en janvier, ailleurs en mars. L’année suivante, le même pied pourra fleurir quelques mois avant ou après. En fait, la floraison du Romarin n’est pas tributaire des saisons ; une succession de journées pluvieuses suivies de soleil peut en amorcer une nouvelle. Sous climat méditerranéen, ces conditions sont réunies un peu n’importe quand à l’exception de la période estivale et c’est donc sur l’ensemble de l’année qu’il sera possible d'observer le buisson en fleur.

3.1 Première approche de la fleur

À l’œil nu, la fleur de Romarin présente deux parties : une première dirigée vers l’avant en forme de cuillère avec sur les côtés deux petits “accoudoirs” et perpendiculaire à celle-ci, un arc d’étamines suivi du style du pistil retenu à l’arrière par la dernière portion dressée de la corolle. Sous ces deux parties, la fleur se rétrécit et forme un petit tube dont le début s’emboite dans la clochette du calice. Ce dernier possède cinq dents qui correspondent à la portion non soudée des sépales, deux vers l’avant et trois à l’arrière.

En démarrant ma visite de la fleur, je connaissais le nombre d’étamines, la structure du pistil et je savais qu’elle était gamopétale (pétales soudés) avec un calice en cloche. J’étais loin d’imaginer toutes les subtilités que recelait réellement sa corolle et la présence de certains autres éléments.

Pour découvrir toutes les richesses de cette fleur, il faut s’en approcher davantage en l’observant à la loupe binoculaire. Je vous invite donc, aidé des quelques clichés et dessins, à faire le tour de cette petite merveille.

3.2 La fleur de Romarin comme un insecte
Photo 5 - La fleur du Romarin et l'accès au nectar
Photo 5 - La fleur du Romarin et l'accès au nectar

3.2.1 Première étape : l’atterrissage

Venir visiter la fleur comme un insecte le ferait, c’est d’abord trouver un endroit pour s’y poser. Contrairement au Bouton d’or dont les pétales forment une roue délimitant une large zone plane, la fleur de Romarin est étroite. Sa symétrie bilatérale impose un atterrissage sur le seul grand pétale situé en avant et oblige à glisser sous l’arc des étamines (photo 5). Cette contrainte passée, la zone d’atterrissage, comparable au creux d’une main, offre un bon confort si l’on n’est pas trop grand et les deux lobes latéraux sont très utiles pour le maintien. Ça y est, nous y sommes !

3.2.2 Deuxième étape : l’accès à la récolte

L’insecte ne se pose pas sur la fleur par hasard, il vient y récolter un liquide sucré produit sous le pistil au niveau du disque nectarifère (photo 9). Ce nectar n’est pas visible lorsqu’il se pose, mais ses antennes l'informent de sa présence. Il doit, pour l’atteindre, glisser sa langue dans le creux de la fleur jusqu’à sa base. Ce mouvement se fait en restant posé sur la corolle avec les étamines dans le dos.

Comme un insecte, nous allons aborder la fleur en l’observant de face pour trouver comment accéder au liquide sucré.

Photo 6 - Piéride butinant le Romarin
Photo 6 - Piéride butinant le Romarin

L’observation rapprochée de l’entrée de la gorge de la fleur nous montre un seul passage possible, entre les filets des étamines (photo 5). Impossible de passer ailleurs, car à l’arrière de celles-ci, des replis de la corolle bloquent le passage. La fleur de Romarin est presque fermée ce qui lui permet de réduire l’évaporation du nectar et économiser sa production. Impossible pour un insecte de petite taille à langue courte d'y passer la tête ou de s’introduire dans le creux de la fleur.

Cette architecture va, de ce fait, limiter l’accès à la récolte aux seuls insectes à langue suffisamment longue (certaines familles d’abeilles) ou à ceux équipés d’une trompe comme les papillons (photo 6). La fleur est donc confortable, mais elle sélectionne ses visiteurs. Chez les abeilles, la récolte s’effectuant avec l’arc des étamines dans le dos, il est impossible de ne pas toucher leurs sacs et de quitter la fleur sans un saupoudrage de pollen (photo 10).

3.3 Découverte de l’intérieur de la fleur

Reprenons maintenant notre curiosité humaine et découvrons ce qui se cache dans la fleur de Romarin.

3.3.1.1 / Deux étamines pour 2 sacs

Une étamine est classiquement formée de deux sacs polliniques portés au bout d’une petite tige appelée filet. En observant l'extrémité des étamines du Romarin, on aperçoit bien deux sacs, mais ces derniers sont fixés sur 2 filets différents soudés à chaque lobe latéral de la corolle. On a donc une sorte d'étamine à 2 sacs, portée par 2 pieds (filet).
En réalité, chacune des étamines est réduite à un seul sac, les deux se réunissent au bout de l’arc des filets (photo 7 /anth.). Il est d’ailleurs possible de séparer les deux éléments. Petite curiosité du filet, il comporte vers sa base une dent située vers l’arrière et orientée légèrement sur le côté (photo 7 / dt.).

Photo 7 - Étamines et staminodes. anth. extrémité des deux étamines avec leur sac pollinique / dt. la dent à la base du filet de l'étamine / st. staminodes.
Photo 7 - Étamines et staminodes.
anth. extrémité des deux étamines avec leur sac pollinique / dt. la dent à la base du filet de l'étamine / st. staminodes.

3.3.1.2 - Deux mystérieux osselets

En poussant encore l’observation, on découvre sur la corolle, derrière les étamines, deux petites excroissances (une de chaque côté) dont les extrémités ressemblent à des osselets (photo 7 / st.). Ces deux éléments situés au même niveau que les étamines sur la corolle sont des étamines non développées (stériles) appelées staminodes.

3.3.1.3 - Des économies pour la même efficacité

Dans la famille des Lamiacées, de nombreuses espèces, par exemple le Thym (photo 8), portent 4 étamines pleinement développées. Le Romarin fait, non seulement, l’économie de deux étamines, mais pousse la réduction jusqu'à n'en garder que deux moitiés. Baisser le nombre de ces éléments, essentiels pour la fécondation de la plante et l’apparition de nouvelles graines, pourrait sembler risqué, mais la courbure des étamines qui place les deux sacs polliniques directement sur le dos de l’insecte suffit à assurer parfaitement la pollinisation (photo 10).

Photo 8 - Fleurs de Thym montrant leurs 4 étamines saillantes
Photo 8 - Fleurs de Thym montrant leurs 4 étamines saillantes
3.3.2 Fragile pistil

Si, maintenant, vous détachez la corolle du calice, vous remarquerez que toutes vos tentatives se soldent par la séparation du style de la base du pistil.

Photo 9 -  Gros plan sur l'ovaire du Romarin inséré sur le disque nectarifère
Gros plan sur l'ovaire du Romarin
inséré sur le disque nectarifère

L’extraction du pistil entier est une opération délicate à réaliser sous binoculaire. Elle démarre en fendant la clochette du calice et se poursuit en coupant la corolle en deux pour séparer les étamines et staminodes. À la fin de ces manipulations à haut risque, vous vous retrouvez avec un ovaire formé de 4 carpelles insérés sur un épais disque nectarifère (photo 9). Au centre de ceux-ci démarre le style (on dit qu'il est gymnobasique), dès le début, est incliné vers l’arrière de la fleur. C’est cette inclinaison qui explique que cette partie se détache en tirant la corolle.

L’extrémité du style est, elle, composée de deux parties, les stigmates. D’abord collés, ils finissent par s’écarter l’un de l’autre pour assurer la récolte des grains de pollen venus d’autres fleurs. Cette capture pollinique est accompagnée par la flexion du style vers l’avant de la fleur. Lorsque cela se produit, les sacs de pollen de la fleur sont déjà vides, ce qui évite la captation de son propre pollen.

Après fécondation, chaque carpelle se transforme en un petit fruit nommé akène et l'ensemble forme le tétrakène protégé dans la clochette du calice (photo 10).

Photo 10 - Vue plongeante dans la clochette du calice avec son tétrakène
Photo 10 - Vue plongeante dans la clochette du calice avec son tétrakène
3.4 La coupe de la fleur pour la synthèse

Après ce voyage dans les moindres recoins de notre fleur, une synthèse s’impose et elle sera faite avec quatre dessins.

3.5 Une fleur adaptée aux abeilles

Si vous observez un pied de romarin en fleur, vous remarquerez que ses principaux pollinisateurs sont les abeilles domestiques et quelques espèces sauvages suivant la saison. Pas de cétoines ni de diptères, car pour les premiers il n’y a pas de pollen à croquer et pour les seconds, le nectar est inaccessible à cause de leur trompe courte. Les abeilles sont, par contre, parfaitement adaptées au romarin par leur taille et surtout par leur longue langue. À ces pollinisateurs s’ajoutent les papillons avec leur longue trompe. Pour l’ensemble de ces visiteurs, la fleur du Romarin n’a à offrir que du nectar ce qui leur suffit amplement, car la production est importante et bien conservée.

Photo 11 - Une abeille butinant le Romarin
Photo 11 - Une abeille butinant le Romarin.
On remarque les sacs polliniques déversant leur contenu sur le dos de l'insecte.

4. Croqueurs de feuilles et récolteurs de fruits

Si les essences aromatiques repoussent plus d’un herbivore, comme pour d'autres plantes, il existe un certain nombre d’espèces dont le feuillage va être la principale source de nourriture.
Parmi les croqueurs de feuilles de Romarin, on trouvera fréquemment deux espèces appartenant à la famille des chrysomélidés.
La plus fréquente et pourtant la moins facile à voir est la Chrysoline d’Amérique (Chrysolina americana) (photo 12 / A) . Ce petit insecte a la taille et la forme d’une coccinelle, mais des couleurs métalliques allant du vert au brun formant des rayures longitudinales sur ses élytres. Ce coléoptère, qui ne vient pas du tout d’Amérique, se trouve souvent sur les tiges feuillées où il se nourrit des feuilles. Comme l’espèce suivante, on le retrouve sur d’autres plantes aromatiques comme la Lavande.

Photo 12 - Deux herbivores du Romarin : la Chrysoline d'Amérique et l'Arime marginée
Photo 12 - Deux herbivores du Romarin :
A-Chrysoline d'Amérique (Chrysolina americana) / B et C-Larve et adulte d'Arime marginée (Arima marginata)

Plus grand, plus dodue et au corps noir ce qui permet de s’apercevoir facilement de sa présence, l’Arime marginée (Arima marginata) (photo 12 / B et C) est un chrysomélidé à l’abdomen imposant, surtout chez les femelles et aux ailes réduites à des moignons. Lorsqu'elle passe sa vie sur le Romarin, sa présence finit par se traduire par quelques dégâts visibles sur le feuillage.

Lorsque les fleurs sont devenues des fruits, il reste encore au Romarin à disperser les graines qu'ils contiennent. Vous croiserez sur les chemins menant vers les entrées de fourmilières de nombreuses fourmis moissonneuses (Messor barbarus) avec, entre leurs mandibules, des petits fruits de toutes sortes. Les clochettes des calices du romarin font partie des éléments recherchés et, si le buisson source n'est pas loin, vous pourrez observer les insectes en pleine cueillette comme si elles étaient sur un arbre. Clochette après clochette, la récolte circule sur les chemins caillouteux et une partie s'y perd en favorisant, au passage, la germination de nouveaux pieds du buisson.

Photo 13 - Fourmi moissonneuse portant un calice de Romarin
Photo 13 - Fourmi moissonneuse portant un calice de Romarin

Notre exploration du Romarin s'achève, et il ne vous reste à vous dire deux choses. D'une part, que cette espèce est la seule de son genre en France, mais qu'il en existe deux autres ailleurs :

  • Le Romarin blanc Rosmarinus tomentosus endémique des côtes de Grenade et Malaga au sud de l'Espagne ;
  • et le Romarin à calices laineux Rosmarinus eriocalyx présent au en Afrique du Nord.

La dernière chose à vous dire sera qu'un jour ou l'autre, en raison d'études génétiques récentes, notre Rosmarinus et les autres seront fusionnés dans le genre Salvia (Sauge). Ils deviendront alors : Salvia rosmarinus pour notre espèce, Salvia granatensis pour le Romarin blanc et enfin Salvia jordanii pour le Romarin à calices laineux.

E. PENSA