L'Iris des marais - Iris pseudacorus

Sans doute en raison de son allure de fleur de jardin, l'Iris ne m'a jamais attiré. Même en le prenant en photo, il y avait un je ne sais quoi qui me laissait indifférent. Et puis il y a eu ce jour où un bourdon ou tout simplement le vent a légèrement soulevé une fleur d'Iris des marais, laissant apparaître une forme brune allongée. Persuadé qu'il s'agissait d'une chenille ou d'une larve d'insecte, je pris une photo de près de la bête. Derrière l'objectif, mon œil n'en revint pas. Rien d'animal devant moi, mais une partie de la fleur que je n'avais jamais vue sur un Iris. Après cette surprise, j'ai pris quelques fleurs et décidé d'entreprendre l'exploration du monde des Iris. J'ai le plaisir, après quatre jours d'observation et de dessins plus tard (un record personnel pour une seule plante), de vous offrir le décryptage de cette fleur incroyable.

Comparaison n'est pas raison : premiers essais, premières erreurs.

Ne disposant d'aucun écrit précis au sujet de la fleur d'Iris, j'ai décidé d'en entreprendre l'exploration sans aide comme un explorateur avec une plante exotique.

Lorsqu'on observe une fleur dont les pétales sont disposés en croix ou en cercle, pour la dessiner, en général on retire l'un d'eux et l'intérieur devient visible, lisible.

Faire de même avec l'Iris dévoile l'intérieur d'une partie de la fleur seulement, impossible de voir la totalité des étamines par exemple. En fait, la structure trimère de la fleur et les pièces centrales internes qui couvrent le reste des éléments font penser à un assemblage de 3 fleurs. Un peu comme si l'on avait collé trois glaïeuls.

Le Glaïeul d'Italie (Gladiolus italicus)
Le Glaïeul d'Italie (Gladiolus italicus)

En partant de cette représentation, il me sembla évident que la meilleure illustration serait celle d'un des trois ensembles, en isolant le fameux "glaïeul". Pour le reste de la fleur, il me suffirait de reproduire deux fois mon premier dessin.
Inspiré d'une vieille planche botanique où une étamine était représentée entourée de ce qui me semblait être deux prolongements jaunes, je me suis lancé dans la première ébauche. J'imaginai alors que le tiers de la fleur était composé d'un pétale à l'avant, une étamine et ses deux prolongements , un tiers du pistil et un dernier pétale à l'arrière-plan. Malheureusement, en retirant un à un les éléments pour le dessin, quelque chose m'a vite perturbé. Il manquait le pistil. Deuxième gros souci, le reste des étamines de la fleur ,'avait plus qu'un seul prolongement à se partager et non quatre comme prévu. À l'évidence, ma représentation était fausse.

Première ébauche de l'Iris des marais
Première ébauche de l'Iris des marais

Vous avez perdu quelques minutes à lire ce premier paragraphe ? Il illustre mes 2 jours de tâtonnements et difficultés auxquels j'ai fait face pour me représenter dans l'espace la fleur d'Iris.

Une vidéo et une nuit de sommeil plus tard.

Pour résoudre mon problème de pièces de pistil manquantes, je me suis mis à la recherche sur internet d'une représentation de la pollinisation d'un Iris. C'est finalement son côté "fleur de jardin" qui vint m'éclairer. Les horticulteurs et collectionneurs hybrident les Iris à la main en déposant directement le pollen d'une fleur sur une autre. J'ai ainsi découvert la zone correspondant aux stigmates et réalisé que j'avais affaire à une originale. À l'arrière, ce que j'avais interprété comme un pétale était en fait la partie du pistil manquante, les styles d'un pistil très original déguisés en pétales (on dira pétaloïdes) ! Ma représentation de la fleur changea alors totalement et le pistil réapparut à sa place centrale classique. Dernier éclaircissement, les deux prolongements de part et d'autre de l'étamine sur la planche botanique étaient des petits pétales..

Iris, chapitre 3 : la solution.

Pour mieux comprendre à présent la fleur d'Iris, je vous propose de vous représenter ce qu'elle aurait pu être dans une version "classique simple". On reviendra ensuite vers chaque élément pour le comparer à la réalité. Notre fleur a trois grands tépales externes, trois petits tépales internes (on utilise ce terme lorsque les sépales ressemblent à des pétales), 3 étamines et un pistil avec un ovaire situé dessous (infère) surmonté par 3 styles. En théorie notre fleur devrait donc ressembler à l'illustration 1. Comparons maintenant le schéma à la réalité.

La vraie fleur a bien un ovaire infère, mais il est apparemment surmonté par une zone de couleur et de forme différentes. Sur une portion de leur longueur, les styles semblent avoir fusionné et glissé sous les autres pièces florales, ce qui correspondrait mieux à l'illustration 2.

Zoom sur les styles à la recherche des stigmates (illustration 4)

Dans mon exploration de la fleur, une partie nous échappe encore, les stigmates. Ces zones sur lesquelles le pollen déposé va féconder les ovules de l'ovaire semblent invisibles sur les styles des Iris.

Les 3 styles pétaloïdes coiffent les étamines. Une étamine se retrouve ainsi sous chacun d'entre eux, intercalée entre deux petits tépales.

Avec les tépales externes accueillants servant de piste d'atterrissage, il ne serait pas très efficace que les stigmates soient situés comme le plus souvent du côté externe du style. C'est, une nouvelle fois, la vidéo des passionnés d'Iris qui m'a permis d'élucider ce dernier mystère et orienter ma recherche des stigmates vers le côté interne des styles.

Chez l'Iris des marais, le stigmate est réduit à une petite languette bordée par deux plis situés sous l'extrémité du style. (illustration 4)

Illustration 4 - Tube nectarifère en coupe longitudinale (2 : coupe fraîche) et dessous d'un style
Illustration 4 - Tube nectarifère en coupe longitudinale (2 : coupe fraîche) et dessous d'un style
Le tube nectarifère (illustration 4)

Pour être plus juste, la partie visible sous la fleur ne correspond pas à l'union des trois styles. Cette partie du pistil est cachée à l'intérieur d'un manchon résultant de la fusion de la base des tépales et étamines. Cette zone sert de réservoir au nectar produit par l'ovaire, c'est un tube nectarifère. Son orifice d'entrée se situe entre les étamines et la base des styles. (illustrations 3 et 4)

Pour vous représenter la fleur d'Iris, imaginez un bout de paille collé sur le sommet de l'ovaire sur lequel seraient insérés les tépales et les étamines. Le départ caché des trois styles se situe dans la paille.

Illustration 6 - L'interprétation finale
Illustration 6 - L'interprétation finale

L'Iris, côté insectes.

Avec sa belle production de nectar soigneusement stockée dans le tube central, l'Iris des marais à de quoi attirer. Pour accueillir ses clients, il leur offre 3 larges pistes d'atterrissage. Après cela se complique un peu, car pour entrer il faut soit être très petit, soit être grand et costaud. Les buveurs préférés sont les bourdons. Pour tremper leurs langues dans le tube nectarifère, il leur faut d'abord payer l'entrée de quelques grains de pollen d'une autre fleur. Lorsque l'insecte se faufile sous le style pétaloïde, en avançant, il frotte son dos contre la languette et les plis du stigmate. Pour l'Iris, la récolte est garantie, le bourdon ne peut entrer sans déposer le pollen. Mais ce n'est pas tout. À peine l'insecte entre-t-il, qu'il reçoit ce pour quoi la fleur l'attendait. L'étamine cachée contre son dos déverse le pollen. Ces deux missions accomplies sans s'en apercevoir, le bourdon avance sa tête vers l'interstice où se situe l'entrée du tube nectarifère. Une fois le breuvage recueilli,il repart, le dos couvert d'un pollen qu'une autre languette dans une nouvelle fleur récupèrera. C'est ainsi que cela se passe entre la plante et le pollinisateur. Tous les raffinements de cette fleur d'Iris, si difficile à déchiffrer, on finalement trois objectifs : attirer, assurer la bonne réception du pollen extérieur (et la fécondation du pistil) et confier un nouveau stock à transporter vers une autre plante.

L'Iris des marais en bref

Il y aurait encore beaucoup à dire sur notre iris, ses fruits qui flottent pour permettre aux graines de germer plus loin sur les berges ou le pouvoir dépolluant de ses racines. Vous trouverez toutes ces informations en faisant des recherches sur le net. L'objectif de cet article était avant tout de vous ouvrir vers le monde de la fleur d'Iris, fleur qui est sans doute devenue le symbole du blason si connu de la fleur de Lys.

E. PENSA