Les classifications botaniques

La systématique*, ou " science de la classification du vivant ", peut-être à première vue un domaine particulièrement sibyllin et rebutant, en particulier pour les profanes qui n'y voient souvent qu'une source de jargon compliqué et une organisation obscure. C'est pourtant un outil passionnant qui peut nous apprendre bien des choses pour peu qu'on s'y familiarise. Plus encore que les autres sciences, la systématique est en constante évolution à mesure que progresse notre compréhension du vivant.

La nomenclature binominale

L'arbre du vivant
L'arbre du vivant,
dont le point de départ
est la première cellule à ADN*

La première réforme notable de la classification des plantes a été proposée par Carl Von Linée [1707-1778] qui se basait sur une nomenclature binominale* pour attribuer un nom de Genre et un nom unique d'espèce en latin. Cette nomenclature fut adoptée de manière officielle dans tous les pays, puis complétée et appliquée à l'ensemble du vivant, mettant fin aux innombrables homonymes des noms vernaculaires. La classification a été perfectionnée ensuite par divers auteurs successifs, la plus aboutie étant la classification de Cronquist, établie par Arthur John Cronquist [1919-1992] et officialisée en 1981.

Cette classification est basée sur l'observation des particularités anatomiques et chimiques telles que le nombre et la disposition des étamines et des carpelles* au sein de la fleur, ou la présence de certains glucides caractéristiques. Depuis des années de nouveaux outils : Microscopie électronique, génétique, biologie moléculaire... Sont venus affiner, voire parfois réformer, notre approche de la classification. La systématique a donc subi de nombreuses transformations qui ne facilitent pas forcément son apprentissage, même pour les amateurs avertis. En ce qui concerne les végétaux à fleurs, la dernière réforme date de 2009 et est aujourd'hui le système le plus abouti et reconnu : l'APG III soit la troisième réforme de " l'Angiosperm Phylogenic Group " (Groupe phylogénétique des angiospermes). On parle alors de classification phylogénétique*. Cependant elle est appelée à subir progressivement de nombreuses transformations liées aux améliorations et précisions que la science est susceptible d'apporter.

"Classification classique" VS "classification phylogénétique"

Toujours largement utilisée, la classification dite "classique" se base sur les ressemblances anatomiques et les particularités fonctionnelles pour créer des groupes et des familles. L'avantage, c'est que les groupes ainsi formés sont relativement simples à identifier et l'arbre de classification est facilement lisible. Le problème en revanche c'est qu'elle ne reflète pas forcément les différentes filiations et processus évolutifs des êtres vivants, car de nombreuses caractéristiques de références peuvent en réalité être apparues à différents moments dans l'évolution, à partir d'ancêtres communs différents.

La classification phylogénétique retrace les filiations entre les organismes, les regroupant par parentés à l'aide d'outils génétiques et moléculaires. L'avantage c'est qu'elle reflète plus fidèlement les filiations et donc l'histoire évolutive de chaque être vivant. L'inconvénient c'est que l'arbre ainsi créé se complexifie énormément. Bien que cela forme des groupes moins aisés à identifier aux premiers abords, cela reflète pourtant mieux la réalité biologique.


Ici selon la classification phylogénique (simplifiée à l’extrême), la branche des cœlacanthes
(des poissons archaïques considérés comme " fossiles vivants ") s'est d'abord séparée
de celle des poissons pour former le groupe des Sarcoptérygiens* avant de diverger
de la branche qui donnera les mammifères. Les humains
ont donc un ancêtre commun avec le cœlacanthe plus proche qu'avec la truite par exemple.
(source WIKIPEDIA)

L'ancêtre commun

Tous les êtres vivants ont un ancêtre commun, qui peut être considéré comme la première cellule autonome possédant un matériel génétique (ADN*) apparue il y a approximativement 3,5 à 3,7 milliards d'années, c'est-à-dire aux prémices de la vie. Vu sous cet angle, nous sommes donc tous " parents ", et à la lumière de nos connaissances actuelles, nous pouvons retracer l’arbre généalogique d'une espèce jusqu'à son plus ancien ancêtre connu, et même jusqu'à l'ancêtre commun présumé. Cependant, nous savons désormais que l'extraordinaire diversité du vivant ne peut pas être dessinée comme le joli arbre généalogique de votre famille, il s'agit plutôt d'une arborescence d'une incroyable complexité avec des branches qui s'entrecoupent, se soudent, d'innombrables branches mortes, des ramifications soudaines et chaotiques, des régressions, des branches solitaires, des regroupements inattendus... bref, un formidable labyrinthe aux frontières parfois floues et dont le point d'origine se perd dans la nuit dans temps.

Le Pissenlit dent-de-lion à la recherche de ses origines

La classification du pissenlit
La classification du pissenlit

Nous allons aider notre brave Pissenlit dent-de-lion (Taraxacum campylodes) à retrouver sa position au sein de l'arbre labyrinthique du vivant, et ainsi retracer l'histoire évolutive de son espèce. D'autres espèces seront placées à titre d’exemples, elles seront indiquées en gris et en pointillés pour signaler l'effet " raccourci ".

légendeadroite
La classification du pissenlit

Afin de simplifier et d'alléger énormément notre parcours, nous allons utiliser à la fois la classification classique (cases bleues) et la classification phylogénétique (cases vertes) et ne noter que quelques autres divisions en plus de celles qui nous intéressent. Pour progresser dans les dédales de la classification, nous observerons les particularités notables du Pissenlit. À mesure que nous descendons, chaque taxon* affine peu un peu des caractéristiques rapprochant les individus et représentant une ou plusieurs innovations apparues progressivement dans l'évolution. En réalité chaque groupe est lui-même découpé en plusieurs sous-parties, mais il n'est pas nécessaire de tous les connaître pour comprendre la logique de la classification. Les noms des taxons* seront indiqués également sous leurs dénominations latines entre parenthèses (Les noms latins étant les références utilisées dans les ouvrages de classifications). Nous partirons donc du " Domaine ".

Domaines : Eucaryotes

Les domaines regroupent trois types d'êtres vivants :

  • Les Procaryotes (Eubacteria) : ce sont des cellules ne possédant pas de noyau protégeant leur ADN*. Nous y retrouvons l'immense ensemble des Bactéries, qui restent de nos jours les êtres vivants les plus importants sur Terre tant au point de vue quantitatif qu'en diversité.
  • Les Archées (Archea): Sont des cellules uniques, dont l'organisation est une sorte de transition entre les 2 autres domaines. Ce domaine regroupe l’ensemble des Archébactéries, dont la plupart sont des extrêmophiles*, c'est-à-dire des micro-organismes vivant dans des conditions extrêmes (chaleur, d'acidité, d'alcalinité, salinité ou même radioactivité) hostiles à toutes autres formes de vie.
  • Les Eucaryotes : Regroupent toutes les cellules renfermant leur ADN* dans un noyau au sein de la cellule. Le Pissenlit appartient à ce domaine.
Les domaines
Les domaines

Règnes : Plantes

Là où nous considérions autrefois 6 règnes reconnus :

  • Bactéries (Eubacteria),
  • Archées (Archea),
  • Protistes (Protista),
  • Plantes (Plantae),
  • Animaux (Animalia)
  • et Champignons (Fungi),

les études phylogénétiques semblent indiquer que la réalité est bien plus complexe et diversifiée. Par exemple, il est fort probable que les plantes se soient séparées des autres eucaryotes* avant la divergence entre les animaux et les champignons, en d'autres termes, nous sommes plus proches des champignons que des plantes !

Bref, Observons le Pissenlit, il possède des cellules renfermant des chloroplastes*, ce qui lui permet d'effectuer la photosynthèse*. Ces caractéristiques nous permettent de le placer dans le règne des Plantes (Plantae).

Sous-règne : Trachéophytes
Sous-règne
Sous-règne

Notre plante dispose d'organes bien distincts : racines, tiges, feuilles... et à l'intérieur de ceux-ci se trouvent des vaisseaux autorisant la circulation de sève dans tout l’organisme. Ce qui nous permet de le ranger dans les trachéophytes, on parle aussi de "végétaux vasculaires".

Les trachéophytes se différencient par exemple

  • des chlorophytes* (regroupant les algues vertes, ne possédant que des organes très simplifiés)
  • et des bryophytes* (regroupant les mousses, ne possédant pas de réel système vasculaire).

Embranchement : Spermatophytes

Le Pissenlit fait des fleurs et se reproduit à l'aide de graines. Son pollen voyage à dos d'insectes (ou parfois grâce au vent) sans nécessiter la présence d'eau. Il appartient donc à l'embranchement des Spermatophytes (" plantes à graines ").

Le groupe diverge des

  • Ptéridophytes* (regroupant les fougères)
  • et des Sphénophytes* (regroupant les prêles) qui ne produisent pas de fleurs, mais des spores* et nécessitent la présence d'eau pour se reproduire.

On rencontre parfois le terme " Phanérogames* " (" Plantes à fleurs ") comme synonyme de Spermatophytes.

Sous-embranchement : Angiospermes (= Magnoliophyta)

Si vous observiez une coupe de graine de pissenlit au microscope, vous verriez qu'en réalité il s'agit d'un fruit fait de plusieurs couches protégeant la graine, située au beau milieu. Le Pissenlit fait partie des Angiospermes*, c'est-à-dire des plantes dont la graine est protégée par un fruit, par opposition aux Gymnospermes*, les plantes à "graines nues" que sont par exemple les conifères* tels que les sapins ou les épicéas.

À noter que les Angiospermes forment le sous-embranchement le plus récent dans l'évolution (tous règnes confondus). Il est apparu il y a environ 140 millions d'années, alors que tous les autres embranchements connus à ce jour existaient déjà, et représente aujourd'hui le sous-embranchement largement dominant chez les plantes.Le Pissenlit appartient aux " Angiospermes vraies " (Euangiosperma) par comparaison aux angiospermes archaïques (Protoangiosperma) qui représentent les ancêtres des plantes à fruits et dont certains représentants existent encore de nos jours, comme Amborella tricopoda, la plus ancienne des plantes à fruits.


Classe : Eudicotylédones

( !! À partir de là, ça se complique un peu depuis les récentes réformes de la classification)

Au moment de la germination, la plantule de pissenlit possède deux cotylédons*. De même un puissant microscope vous permettrait d'observer les particularités du pollen de cette plante, celui-ci est tri-aperturé (il possède trois apertures* sur la paroi externe du grain). Ces simples observations nous permettent à coup sûr de ranger notre Pissenlit dans les eudicotylédones (groupe qui en fait se caractérise par de très nombreuses autres particularités).

Les eudicotylédones se séparent des Dicotylédones archaïques (ou Dicotylédones mono-aperturées) dont sont issues les monocotylédones*.

Parmi les Eudicotylédones, on peut distinguer 2 groupes :

  • Les Eudicotylédones archaïques (présentant des caractères ancestraux, proche de l'ancêtre commun),
  • et les Eudicotylédones évoluées, présentant des caractéristiques apparues plus récemment dans l'évolution. C'est à cette dernière classe qu'appartient notre petit Pissenlit.

Clades : Astéridées

Les clades sont les noms donnés depuis les réformes de la classification phylogénétique aux différentes sous-divisions des taxons* à partir de la classe.

Parmi les Eudicotylédones évoluées, nous trouvons :

  • le noyau des eudicotylédones,
  • les Rosidées
  • et les Astéridées. Notre Pissenlit se place dans les astéridées.

Il existe ensuite différents sous-clades que nous n'allons pas inclure ici pour ne pas compliquer la tâche.

Ordre : Astérales

Nous nous rapprochons du but, l’ordre du Pissenlit est celui des Astérales.

Dans la classification classique, étaient regroupées dans cet ordre, toutes les plantes possédant certaines particularités notables : par exemple le fait que le glucide de réserve ne soit pas de l'amidon* comme chez la plupart des autres plantes, mais un sucre caractéristique : l'Inuline*. Cependant la classification phylogénétique, basée sur la parenté génétique, a élargi ces critères.

Famille : Astéracées

La famille du Pissenlit est celle des Astéracées (Asteraceae), anciennement nommées Composées. Immense famille présente partout dans le monde et représentée principalement par des plantes herbacées*.

Très diversifiées, les Astéracées se caractérisent par des inflorescences* ayant l'aspect plus ou moins d'une fleur unique : le capitule*. Il est constitué d'un ensemble de très petites fleurs, pouvant chacune donner un fruit. Le nom d'une famille est dérivé de celui du genre le plus représenté en son sein (autrement dit, celui qui comptabilise le plus grand nombre d'espèces). Ce sont donc les Aster qui ont donné leur nom aux Astéracées. Exemple : l'Aster maritime (Aster tripolium L.)

Genre : Taraxacum

Le genre du Pissenlit est nommé TaraxacumSous le fameux terme bien connu de "Pissenlit" se cachent en fait plusieurs plantes du genre nettement moins connu des Taraxacum. Ce genre très polymorphe* est quasiment impossible à classer strictement, tant il est variable.

Espèce : campylodes

Le Pissenlit dent-de-lion" officiel " est l'espèce "campylodes", c'est-à-dire "Taraxacum campylodes", que l'on retrouve encore fréquemment dans les ouvrages de flore sous son ancienne dénomination de "Taraxacum officinale".

Notre voyage s'arrête ici, pourtant nous pourrions continuer, car le Pissenlit est à ce point polymorphe* que l'on peut creuser sa classification avec des sous-espèces, variétés, etc. Il existe de multiples formes intermédiaires entre chaque espèce officiellement reconnue. Il semblerait que cette herbe folle n'ait point envie de rentrer sagement dans nos petites cases de classification.

Quelques autres pissenlits : Le Pissenlit japonais (Taraxacum japonicum), le Pissenlit des collines (Taraxacum collinum), le Pissenlit glabre (Taraxacum glabrum)...

Classification du Pissenlit dent-de-lion
Classification du Pissenlit dent-de-lion

Conclusion

Ouf, Nous voici enfin avec tout l’arbre " généalogique " (et malgré tout simplifié !) d'une plante aussi commune que le Pissenlit dent-de-lion. Que peut-on en tirer ? Cette modeste " mauvaise-herbe " est en fait très évoluée et " récente " dans l'évolution. Les Angiospermes* ne sont pas les plantes dominantes pour rien, les diverses innovations biologiques : organes différenciés, système vasculaire, reproduction à l'aide de fleurs, graines protégées dans un fruit, fleurs regroupées dans une inflorescence* très efficace... Pas étonnant qu'elles soient les championnes de l’adaptation et qu'elles aient colonisé la planète entière.

Pour autant, le terme "archaïque" ne veut pas dire "à la traîne". Par exemple le Coquelicot des champs (Papaver rhoeas) possède divers caractères archaïques... Mais personne ne peut mettre en doute ses performances de multiplication et de colonisation ! Quant aux fougères ou aux mousses, bien que très anciennes dans l'évolution, elles n'en sont pas pour autant de formidables concurrentes, voire envahissantes dans certains cas. Voilà qui invalide quelque peu les anciens termes employés : "plantes supérieures" (pour désigner les spermatophytes*) et "plantes inférieures" pour parler des plantes sans fleurs.

Il faut donc retenir que bien que retraçant l'évolution biologique et donc l'apparition des êtres vivants au cours des âges géologiques, l'arbre phylogénique ne doit pas se lire comme une pyramide plaçant les individus comme "évolués, supérieurs " ou "archaïques, inférieurs ", mais comme un buisson aux branches multiples, constamment en évolution et explorant toutes les capacités du vivant.


Article tiré du site "La Cabane de Tellus" avec l'autorisation de son auteur.