Les mystérieux trous

Les halictides et le mystère des chemins troués

Lorsque le printemps pointe le bout de son nez, le randonneur sort son bâton de marche, les familles sont en balades et les naturalistes explorent les territoires rendus vierges par le passage de l'hiver. C'est ainsi que, profitant d'une journée ensoleillée et non ventée, je repartais à la recherche de la nouveauté sachant que la saison ne commençait qu'à peine. Après avoir tiré le portrait des Barlies de Robert et malgré 2 heures de recherches, mon butin numérique était bien maigre. Je décidais alors de retourner vers la piste qui m'avait mené jusqu'ici. C'est là que je dus traverser mon futur terrain d'observation.

Une mouche inattendue.

mouche du genre Leucophora
Leucophora à l'approche du nid

Devant moi des dizaines de mottes de terre d'à peine quelques centimètres de haut et un trou circulaire au centre du cratère. Je compris immédiatement qu'il y avait là de quoi s'attarder une bonne heure et je descendais en altitude en me mettant à croupi devant quelques trous en espérant y voir entrer ou sortir une abeille solitaire. Quelques minutes suffirent pour m'apercevoir que les insectes les plus présents étaient des petites mouches aux yeux rouges ornées de plusieurs rangées de poils espacés sur le dos. D'un cratère à l'autre, la même espèce semblait attendre à proximité de l'orifice, cette fois-ci il était temps d'atterrir. Me voici donc armé de patience et d'un appareil photo réglé sur le grossissement le plus élevé, prêt à fixer la moindre scène. S'il fut difficile de photographier l'abeille, j'eus par contre le temps de tirer le portrait de la fameuse mouche tout en l'observant. C'était une mouche du genre Leucophora, dont j'allais finalement observer le comportement.

halictidé femelle
l'halictide femelle a l'extrémité de l'abdomen fendue

L'arrivée de l'abeille.

Affairées à butiner les fleurs, les abeilles ne faisaient que de rapides et aléatoires passages dans les trous. Après de nombreuses tentatives infructueuses, comme cela m'arrive souvent avec les abeilles, je finis par trouver un individu calme, pas pressé me permettant de le photographier ce qui me permit de l'identifier. L'observation du cliché montre en effet une fente à l'extrémité de l'abdomen, notre abeille est une halictide femelle c'est-à-dire une abeille de la famille des Halictidés.

Ces abeilles femelles, après avoir passé l'hiver à l'abri, vont creuser des galeries sur les chemins pour lancer un cycle qui peut comporter plusieurs générations, mais qui se déroule sur une année. Ces femelles sont les fondatrices. La construction se fait la nuit, ce qui protège l'abeille de l'écrasement et apporte une humidité facilitant le creusement. Une galerie principale est creusée sur une profondeur 20 à 30 cm suivant le sol.

l'entrée de la mouche
l'entrée de la mouche

Mais que fait donc la mouche à proximité de l'entrée de la galerie ? Elle attend le moment propice pour entrer et pondre dans les stocks de nourritures. Ce qui est incroyable c'est que l'abeille ne se méfie pas. Je vois ainsi certaines Leucophora entrer, après avoir visiblement observé l'arrivée possible de l'halictide, alors que d'autres entrent directement sans précautions. Encore plus incroyables, certaines mouches suivent l'abeille dans son nid !

Face à si peu d'agressivité, il est donc facile pour la mouche de pondre.

Priorité aux asticots !

Déposés en lieu sûr, les œufs de la mouche donneront des asticots qui seront les premiers à naitre et à profiter des réserves de nourriture aux dépens des larves d'abeille. Ces dernières finiront par mourir. Les mouvements des asticots finissent par les faire tomber de la loge et s’accumuler au fond du tunnel principal. C'est ici qu'ils deviendront des pupes marron qui attendront l'année suivante pour devenir des mouches et recommencer leurs manœuvres.

Une année et plusieurs générations d'abeilles.

La fondatrice dans le rôle de gardienne
La fondatrice dans le rôle de gardienne

Quand tout se passe bien (sans mouche parasite), après le creusement des loges, le stockage de nectar et pollen, puis la ponte, la fondatrice va fermer le nid de l'intérieur et rester ainsi cachée. Sous terre, les œufs donneront naissance à la deuxième génération constituée d'une très grande majorité de femelles. Elles seront les ouvrières, creuseront de nouvelles loges et iront chercher les réserves. Pendant ce temps, la fondatrice pond en passant par chaque loge garnie et se poste à l'entrée de la galerie principale pour empêcher tout insecte étranger de pénétrer.

Du stade solitaire qui ne se méfie de rien, la doyenne des halictides passe donc au stade de mère et gardienne.

Une fois que cette génération a accompli ses missions, le nid se referme à nouveau, le temps que la troisième génération naisse et devienne adulte.

un mâle halictide du genre Lasioglossum
un mâle halictide du genre Lasioglossum

Cette dernière génération compte alors autant de mâles que de femelles. À la fin de l'été, mâles et femelles sortent et les accouplements ont lieu sur les fleurs aux alentours. Les femelles fécondées passeront ensuite l'hiver à l'abri dans le nid à nouveau bouché ou dans un autre endroit. La première fondatrice, à bout de souffle, sera morte entre temps.

Au printemps suivant, toutes les femelles restantes sortiront fonder de nouveaux nids ; elles deviendront à leur tour des fondatrices et le cycle redémarrera.

Voilà donc le résumé de l'histoire des halictides et du Leucophora, l'explication de ces centaines de trous qui percent nos chemins de terre. Il existe plusieurs espèces d'halictidés et de nombreux parasites profitant des réserves que constitue l'abeille. Si vous croisez ces nids sur votre parcours, pensez à les respecter.

E. PENSA