La Scille d'automne

Alors que le mois d'août tire à sa fin, en toute discrétion, les pelouses caillouteuses des collines voient sortir de terre de fines tiges vertes. En quelques jours, elles vont atteindre leur maximum de hauteur, pas plus de vingt centimètres. Aidés par la dernière pluie, ces brins verts ont traversé le sol et leurs sommets ont lentement développé une grappe de bourgeons floraux violets. Encore un peu de patience, tout doucement les prémices de fleurs, ovales, s'ouvrent et dévoilent leurs attraits. De feuilles, il n'est pas question pour l'instant ; pourquoi s'épuiser en pousse verte alors que, tout autour, l'été est encore flamboyant et que les voisins Brachypodes ne sont que maigres herbes jaunes ? Les insectes sont là pour visiter les fleurs ? Priorité à celles-ci ! Tout doucement, une, deux, puis des dizaines de tiges émergent et finissent par étaler leurs joyaux. Pausons-nous un instant pour découvrir ce que nous offre la Scille d'automne.

Présentation rapide de la belle.

La Scille d’automne est une petite plante de la famille des Asparagacées que vous trouverez entre la fin du mois d’août et celle du mois de septembre ou octobre dans les milieux ensoleillés comme les pelouses sèches ou les bords de chemins dans les garrigues et pinèdes. Avec 15 à 20 cm de hauteur et une tige verte sans feuilles d’environ 2 mm d’épaisseur, vous aurez besoin d’un bon coup d’œil, d’une population importante ou tout simplement de chance pour la trouver du premier coup. Mais, pour vous rassurer, dites-vous qu’elle n’est jamais bien loin des bords de chemins caillouteux ensoleillés où les grandes herbes ne poussent pas. Si vous voulez profiter de sa présence, équipez-vous d’une bonne loupe et de quoi la prendre en photo ou la dessiner.

Vous l’avez trouvée ? Laissez-là !

Après des heures de recherches vous êtes finalement tombé sur les dizaines de pieds fleuris espérés et vous pensez peut-être qu’une tige de plus ou une de moins … Non ! Imaginez le temps qu’il a fallu pour faire pousser cette plante frêle sur ce milieu ingrat. Elle mérite d’y rester et d’ailleurs ces lignes sont justement faites pour vous permettre de la découvrir sans l’emporter avec vous.

Histoire de la Scille Prospero autumnale (L.) Speta

Comme tous les êtres vivants découverts et répertoriés, la Scille d’automne possède une appellation scientifique en latin. Pendant de longues années, ce fut Scilla autumnalis, un nom choisi par le très grand naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778). La règle voulant que ces deux mots soient écrits en italique et que le nom de la personne l’ayant nommée soit mentionné à la suite, cela donna : Scilla autumnalis L.

Nom commun et nom scientifique actuels
Nom commun et nom scientifique actuels

En 1982, la Scille devint Prospero autumnale, suite aux recherches du botaniste autrichien Franz Speta. Les noms du premier (entre parenthèses) suivi du dernier «nommeur» de la plante, furent alors ajoutés au nouveau nom latin, ce qui donne aujourd’hui : Prospero autumnale (L.) Speta

C’est ainsi que la Scille d’automne apparait dans les livres de plantes pas trop anciens. Par chance, ce nom scientifique n’a pas changé depuis. Quant au nom commun « Scille d’automne » il est propre à la France et n’a rien d’officiel, la plante ayant sa propre appellation dans chaque pays où elle pousse et peut même en changer en fonction des régions. C'est ainsi qu'elle peut s'appeler Jacinthe étoilée en France, Winter Hyacinth au Royaume-Uni, Giacintello autumnale en Italie ou Herbstmeerzwiebel en Allemagne.
Vous remarquerez que le mot Jacinthe est souvent utilisé. La plante fut, un temps, rangée dans la famille des Hyacinthacées (qui n’existe plus) pour finalement passer chez les Asparagacées où a terminé son périple familial.

De la graine au bulbe

Avant de nous offrir le spectacle de fin de saison de sa floraison, il a fallu à la Scille plusieurs années de préparation. Le point de départ fut une graine qui germa et fit pousser quelques feuilles. Grâce à elles, la jeune plante s'est nourrie, mais elle a pu aussi accumuler des réserves. Ces surplus ont été placés au-dessus des racines pour former un bulbe situé à une dizaine de centimètres de profondeur dans le sol.

Bulbe de Scille d'automne
Bulbe de Scille d'automne

Ainsi caché, cet organe de réserve est un filet de sécurité. En cas d'année difficile qui empêcherait les fleurs de s'épanouir, en cas de sécheresse ou de passage d'incendie, la Scille peut lancer, malgré tout, sa floraison.

Du bulbe à la fleur

Une fois ses réserves placées dans le sol, la Scille peut passer à une nouvelle étape de sa vie : sa floraison. Pour cela, elle doit patienter, attendre le signal. Est-ce la pluie, la baisse des températures qu'elle provoque, son apport d'eau ou le raccourcissement des jours ? Le bulbe se réveille et entre ses écailles apparaissent les ébauches de tiges fleuries encore blanches. L'étape suivante consistera à les allonger et suivre la voie des anciennes feuilles pour percer vers la lumière. Quand les conditions sont réunies, tout doucement, imperceptiblement, les tiges sortent du sol, tournent et s'élèvent en même temps que leurs grappes de fleurs se dévoilent. Une fois le mât allongé, place au spectacle coloré !

Voyage au plus près de la fleur de Scille d'automne.

Le pistil et les étamines
Fleur de Scille d'automne
Fleur de Scille d'automne

À première vue, la fleur ressemble à une petite étoile à 6 branches. De près, on découvre en son centre une petite structure terminée en pointe courte. Encore plus agrandie, elle ressemble un peu à une minuscule figue. Voici le pistil, l'élément qui aura pour mission de fabriquer de nouvelles graines. Autour de lui, assez proches des branches de l'étoile, sont situées les étamines qui démarrent par un filet et se terminent par les sacs de pollen.

La fabrication des graines est un travail d'équipe qui consiste à prendre le pollen situé dans l'étamine d'une Scille du voisinage et de le placer au sommet du pistil d'un autre pied. Pour cela, la plante peut compter sur des insectes qu'elle attire en usant de deux stratagèmes. D’une part elle se fait remarquer dans le paysage par les couleurs de ses fleurs et surtout elle offre en récompense au visiteur, quelques précieuses gouttes d’un sirop de fleur, le nectar. Attirés par la couleur et la gourmandise sucrée, les insectes passent d'une fleur à l'autre en touchant à chaque passage les étamines et le pistil. C'est ainsi que les grains de pollen finissent par se mêler d'une fleur à l'autre et que l'animal passe du statut de visiteur de fleurs à celui de transporteur de pollen, il devient pollinisateur.

Les petits pollinisateurs.

Qui sont les pollinisateurs de la Scille d’automne ? Mes heures passées à l’observer ont montré qu’ils sont souvent de petite taille, mais relativement variés : petites abeilles sauvages, bombyles, petits papillons, syrphes et même fourmis. La tige fleurie pliant sous le moindre poids, les abeilles domestiques et les bourdons passent leur chemin.

Quelques pollinisateurs de la Scille (1: abeille sauvage, 2: Azuré, 3: Bombylidé)
Quelques pollinisateurs de la Scille : 1 Abeille sauvage, 2 Azuré, 3 Bombylidé
Les pièces de l'étoile

En général, la partie en étoile colorée d'une fleur est composée de pétales servant de piste d'atterrissage aux insectes de passage. Pour protéger la corolle (ensemble des pétales), avant que la fleur ne s’ouvre, et pour l’aider à supporter les visites à répétition, celle-ci est entourée d’un calice. Il est généralement constitué d’un nombre équivalent de sépales, souvent verts. Ce second verticille est visible sous la fleur.

Dans la liste des éléments composant sa fleur, la Scille semble avoir oublié les sépales, invisibles en dessous. Avec l'illustration 1, réalisée à partir d'une observation à la loupe binoculaire associée à celle de macrophotographies, vous remarquerez que les six branches de l'étoile colorée sont disposées en deux ensembles de trois, le premier étant situé sous le second. L'interprétation de l'apparente absence du premier cercle protecteur et de cet assemblage par trois puis trois est simple. Sépales et pétales sont semblables en coloris et en structure et on parle dans ce cas de tépales. C’est à l'intérieur du double cercle coloré que sont placées les six étamines avec leur base en face de chaque tépale.

Illustration 1 - Dessin de la fleur de Scille d'automne
Illustration 1 - Dessin de la fleur de Scille d'automne
Étamines ouvertes ou fermées

La plupart des fleurs de Scille que l'on croise ont des étamines dont l'extrémité est bleutée avec une surface irrégulière. Dans ce cas, ces étamines ont déjà ouvert leurs sacs de pollen. L'observation de quelques fleurs aux étamines encore fermées permet d'expliquer le déroulement des choses. Au départ, l'étamine porte deux sacs gonflés de pollen. Dans le dos de l'ensemble, entre les deux éléments, est attachée l'extrémité du filet qui s'élargit vers le bas pour se fixer près des tépales. Lorsque le pollen, à l'intérieur, se développe, l'enveloppe rougeâtre se tend et finit par se déchirer longitudinalement. Les bords se rétractent alors pour laisser apparaître leur contenu. Le pollen étant bleuté, la tête de l'étamine passe du rouge au bleu et les grains de pollen se retrouvent à l'air libre. Toutefois, les étamines ne se vident pas de leur contenu, le pollen reste aggloméré, prêt à se coller sur la fourrure des insectes de passage.

Illustration 2 - Les deux états des étamines
Illustration 2 - Les deux états des étamines

Chez la Scille, le pollen est minuscule, vous en trouverez l'aspect dans l'illustration 2 issue d'une observation à la binoculaire prise en photo et fortement agrandie.

La fin de l'histoire : de la fleur aux graines.
Capsule ouverte
Capsule ouverte

Si vous retournez, un mois après, sur le terrain où vous avez croisé vos Scilles, vous remarquerez beaucoup de changement. Les tiges sont toujours là, mais les fleurs ont disparu et quelques feuilles fines sont sorties. Celles-ci vont nourrir les pistils fécondés pour qu’ils terminent leur transformation en fruits. Ainsi grandissent des capsules, c’est-à-dire des sortes de boites à trois compartiments, chacun contenant deux graines noires.

À maturité, la capsule s’ouvre et les graines, éjectées sur le sol, permettent la pousse de nouvelles plantes. La boucle est ainsi bouclée et il nous faudra patienter, une année de plus, pour revoir les étoiles violettes.

E. PENSA