Mauves et guimauves : les mystérieuses

La mauve et la guimauve font partie de ces plantes que l'on peut rencontrer un peu partout et presque en toute saison. Du bord de route à la montagne, il y en a toujours une à observer. Sans s'en approcher, les fleurs semblent banales avec leurs 5 pétales étalés, mais dès que l'on s'avance cela devient plus compliqué.

La colonne mystérieuse.

C'est de profil que la fleur présente le mieux un mystère. Là où l'on s'attendrait à voir un pistil central entouré de 5 étamines, rien n'est comme prévu. Le centre de la fleur est en effet occupé par un ensemble d'étamines atypiques réunies autour d'une colonne centrale donnant à l'ensemble une allure de bouquet. En observant la base de la colonne, aucun signe de présence du pistil. Pire encore, certaines fleurs aux étamines fanées ont une colonne se terminant par des filets en spirale. Il va donc falloir décortiquer la fleur pour mieux comprendre.

Photo 1 - La mystérieuse colonne centrale de la fleur de mauve
Photo 1 - La mystérieuse colonne centrale de la fleur de mauve

Étape par étape, la révélation d'un pistil en robe soirée

Je vous propose, maintenant, de déshabiller notre fleur pour lever ses mystères.

Première approche sous la fleur : deux calices pour le prix d'un !

Décidément, la fleur est une originale. Alors que les sépales forment la première couche de la plupart des fleurs, ici il semble y avoir un double calice.

Photo 2 - Calice et calicule (ce dernier a plus de 5 divisions)
Photo 2 - Calice et calicule (ce dernier a plus de 5 divisions)
Quelques pétales en moins pour mieux s'en approcher

Reprenons notre exploration par le dessus. Après avoir retiré un ou deux pétales, la vue se dégage. Comme décrit en introduction, le seul élément composant la fleur, si on laisse de côté calicule, calice et corolle est un ensemble d'étamines attachées sur un cylindre central.
Dans la fleur en exemple, les étamines situées au sommet sont déjà âgées et flétries contrairement à celles de la base. On remarque aussi que les sacs polliniques sont courbés et non assemblés par deux. C'est comme si l'extrémité du filet des étamines était effilochée avec à son bout le sac de pollen.

Photo 3 - La colonne d'étamines
Photo 3 - La colonne d'étamines
À la recherche du pistil

La fleur n'aurait-elle pas de pistil ? Les sexes sont-ils séparés ? C'est en recherchant à la base de l'ensemble d'étamines flétries que l'on trouvera la réponse. En effet, c'est à cet endroit que l'on aperçoit une structure familière ressemblant aux stigmates d'un pistil.

Photo 4 - les stigmates
Photo 4 - les stigmates
Et tout s'éclaircit !

Si nous partons du principe que les stigmates sortent à travers l'ensemble d'étamines, il n'y a plus qu'une solution, le pistil est caché par celles-ci. Les étamines sont donc soudées par leurs filets dès leurs bases en une colonne qui cache entièrement la quasi-totalité du pistil. Le corps du pistil est en quelque sorte habillé par une robe moulante d'étamines. Il va donc falloir ouvrir la colonne pour en voir davantage.

Le pistil sans sa robe.

Pour la suite, la loupe et une épingle sont obligatoires. À l'aide de la pointe de l'épingle, nous allons maintenant fendre la colonne pour l'ouvrir en deux dans le sens de la longueur. L'opération est délicate, mais si tout se passe bien vous allez pouvoir dégager le style et ses stigmates.

Photo 5 - Ouverture pour extraire le pistil
Photo 5 - Ouverture pour extraire le pistil

Dans un deuxième temps, nous allons continuer à extraire le reste du pistil en déchirant la base du manchon d'étamines Vous remarquerez que l'extraction de la base du pistil se fait plus difficilement, car celle-ci est également recouverte par la base des pétales.

Si tout s'est bien passé, vous avez maintenant sorti le pistil et découvert sa base. Celle-ci comporte autant de portions que le pistil compte de stigmates.

Photo 6 - Le pistil extrait de son enveloppe
Photo 6 - Le pistil extrait de son enveloppe

Les avantages d'une telle fleur

Après la pratique, passons à la théorie. Avoir une fleur aussi originale apporte un certain nombre d'avantages que nous allons découvrir.

Qui cherche du nectar récolte le pollen.

L'étrange colonne d'étamines représente un obstacle encombrant pour l'insecte qui vient lécher le nectar au cœur de la fleur. Impossible pour lui de l'éviter et il s'y frottera malgré lui, le fera vibrer. Ainsi il repartira de la fleur avec son pollen.

Photo 7 - Deux insectes à la recherche de nectar et pollen au cœur d'une fleur de guimauve
Photo 7 - Deux insectes à la recherche de nectar et pollen au cœur d'une fleur de guimauve
Ovules sous haute protection

La colonne centrale constitue aussi une protection pour le pistil véritablement emballé par celle-ci. Ainsi les ovules contenus à son pied sont à l'abri des piétinements et blessures que pourraient occasionner les passages de gros insectes gourmands.

Quand monsieur se fait vieux, madame sort.

Nous l'avons dit en introduction, on trouve deux types de fleurs. Elles correspondent en fait aux mêmes, mais à des stades plus ou moins avancés. En quelque sorte, la fleur nait mâle avec des étamines bourrées de pollen et un pistil immature caché. Lorsque les sacs de pollen se vident, progressivement le pistil voit ses stigmates s'allonger et devenir finalement matures. Dans cette deuxième phase, la fleur devient femelle. Ainsi les deux sexes se retrouvent séparés dans le temps, ce qui réduit les risques d'autofécondation et favorise le brassage génétique.

En bref : résumé en dessin

Voici ci-dessous des dessins réalisés aux différentes étapes de la dissection de la fleur.

Portrait de famille

Les mauves (genre Malva) et guimauves (genre Althaea) appartiennent à la famille des malvacées, dont les représentants peuvent être des plantes herbacées ou des arbres. Si chez nous les plus grandes malvacées sont les Tilleuls, dans d'autres pays ce sont les Baobabs !

Avant que la génétique remette de l'ordre (ou du désordre) dans les classifications, les mauves (genre Malva) étaient subtilement séparées des Lavatères (genre Lavatera) par un critère visuel : la soudure des pièces du calicule. Aujourd'hui le genre Lavatera n'existe plus et tous ses représentants sont devenus des Malva ce qui n'est pas plus mal. Les flores mettant beaucoup de temps avant d'être rééditées et certaines ne subissant aucune mise à jour entre les éditions, vous trouverez encore des Lavatera dans de nombreuses flores.

De nos jours, il ne reste que 4 genres dans notre flore de plantes herbacées aux fleurs ressemblant à des mauves. Elles ont en commun 5 pétales, des étamines soudées en une colonne centrale et des feuilles à nervation palmée.

Pour faire simple, dans ce groupe on distingue

  • - le genre Modolia par ses fleurs rouge orangé
  • - le genre Alcea par ses fleurs sessiles ou presque.
  • - le genre Althaea par ses fleurs attachées sur un pédicelle avec un calicule à plus de 5 bractées
  • - et enfin le genre Malva aux fleurs attachées sur un pédicelle avec un calicule à 3 bractées

Comme le montre la photo 2, la plante ayant servi à illustrer cet article a des fleurs attachées sur un pédicelle avec un calicule à plus de 5 bractées. C'est donc une guimauve et plus précisément la Guimauve à feuilles de Cannabis (Althaea cannabina)

Trois mots savants pour terminer

L'originalité des mauves se traduit par un certain nombre de termes utilisés par les botanistes dans leurs descriptions.

  • Le calicule est aussi nommé épicalice,
  • la soudure de l'ensemble des étamines par leurs filets correspond à un androcée monadelphe
  • la maturation des étamines avec celle du pistil se nomme protandrie
E. PENSA