Des animaux à sang chaud ou à sang froid ?

Dans la littérature scientifique, y compris spécialisée, il n'est pas rare de rencontrer les expressions «animaux à sang chaud», «animaux à sang froid». Typiquement, les animaux à sang chaud sont les Oiseaux et les Mammifères; tous les autres sont à sang froid. En fait, nous allons voir que les choses sont très loin d'être aussi simples.

Une distinction artificielle et fausse

Température du sang ou température du corps?

Tout d'abord, parler de la température du sang d'un animal sous-entend que cet animal a du sang. Pourtant, nombreux sont les animaux qui n'ont pas de sang: par exemple les Éponges, les Coraux, les Méduses, animaux très anciens d'un point de vue évolutif et relativement simples dans leur constitution. Pour lever toute ambiguïté, il convient donc de parler de la température du corps.

Du sang froid chaud et du sang chaud froid !

Mais là où les choses deviennent nettement plus compliquées, c'est quand l'on procède à des mesures précises de température :

Lézard des murailles
Lézard des murailles
  • Considérons un Lézard des murailles immobile au soleil, en plein été: les Lézards sont considérés comme des animaux à sang froid. Pourtant, la température de son sang, dans ces circonstances, peut atteindre... 45°C!!
    Qui a dit à sang «froid»?...
  • Nous autres, êtres humains, sommes considérés comme des animaux à sang chaud. En plein hiver, quand il fait très froid, nous avons l'habitude de porter des moufles ou des gants: la raison en est qu'au bout des doigts, plutôt fins, notre sang peut très vite se refroidir et descendre jusqu'à 25°C... soit tout de même 20°C de moins que pour le sang d'un Lézard en plein soleil !

Une température interne fixe ou variable

Pour être rigoureux, il faut parler d'animal à température variable, et d'animal à température fixe. [Notons que cette séparation en deux catégories est quelque peu simplificatrice, la situation étant en fait plus complexe (certains animaux sont plus ou moins «entre les deux»)].

Une température corporelle variable

Certains animaux, les plus nombreux, ne produisent pas leur propre chaleur (pourtant, ils sont capables d'ajuster leur température interne). Cette dernière dépend donc principalement de la température de l'environnement: s'il fait plus froid, comme pendant la nuit, la température interne de l'animal baisse; au contraire, s'il fait plus chaud, comme pendant la journée, en particulier au soleil, sa température interne augmente. Certains de ces animaux ne peuvent vivre que pendant la belle saison, car, dès qu'il commence à faire trop froid, au cours de l'automne, ils meurent: c'est le cas de nombreux Insectes, comme les Agrions et les Libellules [voir mon article «Le destin des Libellules»].

Ces animaux sont dits ectothermes (du Grec ecto, extérieur, et thermos, chaleur) ou poïkilothermes (toujours du Grec poikilos, changeant). Ce sont ceux que l'on appelle familièrement «à sang froid», mais qu'il faut nommer plus exactement «animaux à température interne variable»; certes l'expression est plus longue à dire ou à écrire, mais elle a le mérite d'être exacte, quand l'autre n'est qu'une mauvaise simplification de la réalité véhiculée par les médias, qui en sont friands.

Les animaux ectothermes font appel à plusieurs stratégies pour ajuster leur température interne: la plus fréquente consiste à changer d'environnement (citons l'exposition plus ou moins prolongée au soleil, l'enfouissement dans la terre ou le sable, le déplacement vers des eaux plus chaudes ou plus froides), mais aussi de modifier son activité physique, productrice de chaleur. Cela mène parfois à des situations délicates. Par exemple, certaines femelles de Serpents, ovovivipares, conservent leurs œufs dans leur corps; toutefois, le bon développement de ces œufs dépend étroitement de la température, ce qui oblige ces Serpents à toute une série de manœuvres pour que la température de leur corps, et donc des œufs, reste dans une marge acceptable: rester un certain temps au soleil, pour se réchauffer – mais pas trop! - puis à l'ombre, pour se refroidir – mais pas trop non plus !

Une température corporelle – plus ou moins – fixe

D'autres animaux, au contraire, sont capables de produire leur propre chaleur (on parle de thermogenèse), et ont donc développé des mécanismes complexes leur permettant de réguler leur température interne, donc de la maintenir à un niveau constant, quelles que soient les conditions extérieures. C'est bien connu, notre température est d'environ 37°C, de jour comme de nuit, été comme hiver, et quelles que soient les conditions météorologiques. [En cas de maladie infectieuse, notre température interne augmente – nous avons de la fièvre –, ce qui permet de lutter contre cette pathologie; mais attention danger! Une fièvre trop importante est tout particulièrement dangereuse pour notre cerveau, et peut donc nous tuer.] Cet affranchissement par rapport à un environnement changeant est considéré comme un gain de liberté pour les animaux qui en bénéficient. Toutefois, revers de la médaille, les réactions métaboliques permettant cette production thermique sont très coûteuses en énergie. Ces animaux, dits homéothermes (du Grec 'homéo', identique), ont donc de gros besoins alimentaires – raison pour laquelle nous avons besoin de manger plusieurs fois par jour !

Les animaux homéothermes sont principalement les Oiseaux et les Mammifères (dont nous autres, Êtres humains, comme nous l'avons déjà évoqué). On pense également qu'un certain nombre de Dinosaures pouvaient réguler leur température interne efficacement. Mais les choses ne s'arrêtent pas là.

La marmotte est dite
La marmotte est dite "hétérotherme"

Parmi les animaux homéothermes, certains sont capables, dans des circonstances spéciales, défavorables, d'adopter une autre température, plus basse, ce qui leur permet de réaliser de substantielles économies d'énergie. Ces animaux sont dits hétérothermes (encore du Grec 'hétéro', différent). C'est le cas, par exemple, des animaux hibernants, dont la température corporelle diminue considérablement pendant cette phase de vie ralentie qu'est l'hibernation. C'est aussi le cas de certains Oiseaux, comme les Martinets, en situation de détresse alimentaire, qui sont capables, pendant toute une nuit hivernale, de tomber dans une sorte de léthargie: là aussi, la stratégie consiste en une économie d'énergie. Et ce n'est pas encore fini!

Le Thon peut réguler la température de certains organes
Le Thon peut réguler la température de certains organes

Car certains animaux semblent ne vouloir entrer dans aucune catégorie, parce qu'ils font appel à une régulation thermique partielle. Les Thons, les Espadons et certains Requins peuvent réguler la température de certains organes (cerveau, yeux et cœur), ce qui leur permet d'être des prédateurs plus efficaces lorsqu'ils chassent en eaux très froides. D'autres animaux sociaux, comme les Abeilles, font appel à une régulation thermique collective, permettant de réchauffer l'essaim ou la ruche en hiver ou de la rafraîchir en été, à chaque fois en faisant vibrer leurs ailes. Et ce ne sont là que quelques exemples.

Pour finir, arrêtons-nous quelque peu sur les stratégies développées par les animaux pour faciliter leur régulation thermique: ici aussi exposition au soleil (ou, au contraire, refuge à l'ombre), isolation thermique (plumes, poils, couche de graisse), vie sociale (regroupement de Manchots empereurs, par exemple). La taille corporelle est ici extrêmement importante: plus un animal est petit, plus la surface qu'il expose dans l'environnement est importante par rapport à son volume, et l'animal doit donc lutter activement contre les modifications de température – ce qui explique aussi leur faible longévité; au contraire, plus un animal est gros, plus la surface qu'il expose dans l'environnement est faible par rapport à son volume – et sa longévité s'en trouve augmentée.

Régulation thermique chez les Végétaux

Oui, vous avez bien lu: des mécanismes de production de chaleur existent aussi chez les Végétaux. C'est, par exemple, le cas chez les Arums, les Lotus, des Nénuphars, des Palmiers, des Magnolias, des Cycas. C'est ainsi que certaines plantes peuvent maintenir la température de leurs inflorescences à... 40°C alors que l'air est proche de zéro degré!

Mais quel intérêt me direz-vous? Eh bien, en maintenant leurs inflorescences à une température supérieure à celle de l'air, ces plantes attirent certains Insectes, comme des Mouches, en particulier la nuit: c'est ainsi que la pollinisation est assurée. La production de chaleur peut également servir à la dispersion d'odeurs destinées aussi à attirer les pollinisateurs. Dans certains cas, la chaleur permet de prévenir le gel de la plante.

Stupides Dinosaures ?

Paragraphe inspiré par un chapitre («Les dinosaures étaient-ils stupides?») du livre «Le Pouce du Panda», de Stephen Jay Gould, 1980.

Argentinosaure
Argentinosaure

Depuis leur découverte au début du XIXe Siècle, les Dinosaures n'ont cessé de stimuler notre imagination, tant par la diversité de leurs formes que par le gigantisme de certains d'entre eux (le Titanosaure mesurait plus de 37 mètres de long, pour une masse de presque 80 tonnes; l'Argentinosaure atteignait 40 mètres pour une cinquantaine de tonnes). Que l'on en juge par le succès phénoménal des films Jurassic Park et autre Jurassic World.

Pendant longtemps, les Dinosaures furent représentés comme d'énormes animaux balourds, lents et stupides, d'où, prétendument, leur disparition brutale, complète et définitive il y a 65 millions d'années. Cet 'échec' évolutif était, en particulier, expliqué par le fait que les Dinosaures étaient des animaux à sang froid... pardon! À température variable.

Depuis, les Dinosaures ont été en quelque sorte réévalués, et certains auteurs ont milité en faveur de l'homéothermie des Dinosaures – le fait, donc, qu'ils aient été capables de produire leur propre chaleur corporelle et, ainsi, de réguler leur température interne. La démonstration porte sur quatre points :

  • La structure des os.
    Les animaux ectothermes qui vivent dans des régions dont les saisons sont très marquées présentent des anneaux de croissance dans les zones externes des os compacts où alternent les couches de croissance rapide en été et lente en hiver; les animaux homéothermes ne présentent pas de tels anneaux – et les Dinosaures qui ont vécu sous un régime saisonnier marqué n'ont pas d'anneaux de croissance;
  • La distribution géographique.
    Les gros animaux ectothermes ne vivent pas sous de hautes latitudes, car les courtes journées d'hiver ne leur permettent pas de se réchauffer suffisamment; or, certains Dinosaures vivaient précisément dans ce genre de région;
  • L'écologie fossile.
    Les carnivores homéothermes doivent manger beaucoup plus que leurs équivalents ectothermes, afin que leur température corporelle reste constante. Ainsi, si prédateurs et proies sont de taille comparable, une communauté d'animaux homéothermes comprend beaucoup moins de prédateurs (pas plus de 3%) que dans les communautés d'animaux ectothermes (jusqu'à 40%). Or, les prédateurs étaient rares dans les communautés de Dinosaures (environ 3%);
  • L'anatomie.
    De nombreux grands Dinosaures ressemblent à des animaux coureurs actuels dans leur anatomie locomotrice et les proportions de leurs membres.

L'on voit ainsi que l'homéothermie ne se cantonne pas du tout aux Oiseaux et aux Mammifères: on dirait que la Nature s'y est essayée plusieurs fois, dans différents groupes évolutifs, comme si elle cherchait différents moyens d'atteindre le même objectif. C'est ce que l'on appelle la convergence évolutive.

Bradymétabolisme, tachymétabolisme

Le métabolisme est l'ensemble des transformations biochimiques qui se déroulent chez les êtres vivants. Plus précisément, il s'agit des réactions biochimiques couplées permettant deux grands types de processus :

  • Soit la dégradation de certaines substances, pour en retirer de l'énergie par oxydation (molécules énergétiques, principalement: glucides ou 'sucres', lipides ou corps gras; on parle de catabolisme, producteur d'énergie et, en particulier, de chaleur);
  • Soit la biosynthèse des constituants indispensables à l'élaboration, au maintien et au fonctionnement des cellules et des organismes(glucides, lipides, protéines, acides nucléiques comme l'ADN; on parle d'anabolisme, consommateur d'énergie).

Il est frappant d'observer la similitude des voies métaboliques fondamentales et des composés biochimiques impliqués chez les organismes les plus divers. Ces similitudes remarquables sont très certainement dues à l'apparition précoce de ces voies métaboliques au cours de l'évolution et à leur conservation au cours des temps géologiques en raison de leur efficacité.

Bref, le métabolisme permet à tout être vivant de produire et de consommer de l'énergie. Selon le niveau d'activité d'un organisme, on distingue le métabolisme d'activité et le métabolisme basal ou de repos.

Le bradymétabolisme (ou métabolisme 'lent') se caractérise par un niveau de métabolisme de repos beaucoup plus faible que le métabolisme d'activité, au point que certains animaux bradymétaboliques peuvent tomber dans un état de léthargie profonde lors de leurs phases de repos, notamment en cas de manque de nourriture. Par opposition, le tachymétabolisme (ou métabolisme 'rapide') permet de maintenir un haut niveau de métabolisme même au repos, ce qui impose une dépense énergétique considérable.

La Cistude est un exemple d'animaux à métabolisme lent (bradymétabolisme)
La Cistude est un exemple d'animal à métabolisme lent (bradymétabolisme)

Plus précisément, chez les animaux ectothermes bradymétaboliques, la dépense basale est très faible et peut être satisfaite par un apport alimentaire limité et épisodique. Chez ces animaux, les périodes d'activité intense sont brèves et suivies d'un épuisement rapide et de longues périodes de repos, en raison de la lente reconstitution des réserves énergétiques. Comme ces animaux ne luttent pas activement contre le froid, leur température corporelle peut s'abaisser considérablement: il en résulte que les périodes de dépense énergétique sont à la merci des circonstances extérieures et ne présentent alors aucune organisation temporelle régulière.

Au contraire, chez les animaux endothermes tachymétaboliques, un effort puissant peut être maintenu de façon prolongée, grâce à des réserves lipidiques importantes et une utilisation directe de l'énergie. Toutefois, ce très grand avantage constitué par le maintien de la performance lors de l'activité physique prolongée, en particulier motrice, est payé par le coût élevé de la maintenance, même en conditions de repos. Par exemple, le métabolisme de repos d'un Lapin est six fois plus élevé que celui d'un Serpent Python de même masse à la même température (37°C). Il apparaît ainsi que le métabolisme de repos des animaux tachymétaboliques est très voisin du métabolisme maximum des animaux bradymétaboliques. Cette différence est due au fait que, chez ces premiers, le cerveau, le cœur, le foie et les reins consomment quatre à cinq fois plus d'énergie que chez ces derniers.

Toutefois, les différences de dépenses énergétiques sont encore plus décisives en ce qui concerne le métabolisme maximum. Si on l'exprime comme une puissance en mW/g (milliwatts par gramme), alors le métabolisme maximum, chez les Vertébrés, s'échelonne entre 2 et 4 chez les 'poissons', 3 et 8 chez les Amphibiens, 3 et 11 chez les 'reptiles', 27 et 60 chez les Mammifères, 71 et 190 chez les Oiseaux! Cette augmentation est à mettre en relation avec la mise en place de nombreux ajustements fonctionnels: augmentation du débit sanguin assuré par le cœur, indépendance plus poussée de la circulation générale et de la circulation pulmonaire, accroissement de la ventilation pulmonaire, amélioration des capacités de ravitaillement des muscles en glucose, facilitation du transport des lipides par voie sanguine et dans les cellules. Ces divers progrès physiologiques, qui dénotent tous d'une forte tendance évolutive, ont permis la mise en œuvre graduelle d'un débit énergétique élevé, pratiquement non limité par les réserves et utilisant la totalité de l'énergie disponible.

Que de chemin parcouru des «animaux à sang froid» au bradymétabolisme et des «animaux à sang chaud» au tachymétabolisme!

"Les voies du progrès (évolutif) sont étroitement limitées par la nature des matériaux de construction et par l'environnement terrestre. Il n'y a que quelques moyens – peut-être un seul – qui aboutissent à un animal bien adapté"
Stephen Jay Gould, Le pouce du panda, 1980.

Article écrit par David EspessetChercheur indépendant en philosophie des sciences, épistémologie et évolution non darwinienne.