La Pisaure admirable, une incroyable araignée

La Pisaure au soleil
La Pisaure au soleil

Dans le midi à partir de la mi-mai, les buissons des garrigues se couvrent de toiles tantôt verticales, horizontales ou en forme de hamac. Pendant que ces araignées, nombreuses, chacune à leur poste sont à l'affût du passage d'un insecte maladroit, d'autres sont à un moment crucial de leur vie. Vous remarquerez sûrement des toiles entourant une sorte de cocon blanc et près d'elles, une araignée aux longues pattes, au corps de couleur claire, la tête prolongée par une courte crête de poils et l'abdomen étroit. C'est la Pisaure admirable, un animal dont je vais vous raconter la vie.

Pisaure mâle et ses pédipalpes gonflés
Pisaure mâle et ses pédipalpes gonflés

L’hiver à l’abri

Remontons pour cela un peu le temps.  Nous sommes encore en hiver et les Pisaures vivent à l'abri des basses températures dans la forêt.  Tantôt parmi la litière ou sous une pierre. Elles profitent du moindre rayon de soleil sur une feuille pour s'y étaler,  se réchauffer.
Pendant cette période, les araignées sont nomades, se déplaçant à la recherche de proies.

Le printemps des amours

Au printemps mâles et femelles sortent de la forêt et s'installent dans les herbes profitant de la chaleur et d’une nourriture abondante, les accouplements peuvent alors commencer. La distinction des sexes est facile, le mâle possède des petites pattes autour de la bouche dont l'extrémité est gonflée : ce sont les pédipalpes qui servent à la copulation. La femelle est, quant à elle, plus grande. Nous avons vu dans un précédent article l’approche délicate des mâles linyphiidés vers les femelles, chez les Pisaures madame à un gros appétit et le mâle risque sa vie pour rencontrer la femelle dont l’agilité et les grandes pattes représentent un énorme danger.

L'offrande du mâle
L'offrande du mâle

Cadeau du soir

C'est à la tombée de la nuit que les accouplements vont démarrer. Que faire pour suivre son instinct de reproduction sans y laisser sa peau ? Monsieur Pisaure a trouvé l’astuce, ne pas venir les pattes vides ! Comme on pourrait passer à la boulangerie du quartier pour amener des petits gâteaux à sa belle, il va capturer une proie qu’il enveloppe de toile avant d’approcher madame. Avec son petit paquet de nourriture entre ses crochets, le mâle doit réussir à séduire madame, lui faire accepter le cadeau pour qu’elle soit plus réceptive à sa venue en tant que mâle que dans le rôle de proie. Pour cela il procède à une manœuvre très dangereuse, alors que madame est immobile, monsieur doit délicatement lui offrir le paquet en passant sous son corps. Après de longues minutes d’approche, la femelle ayant accepté le cadeau, va le déballer pendant que monsieur la féconde. Celui-ci, comme nous l’avons vu chez les linyphiidés, va avec ses pédipalpes , déposer sa semence dans l’orifice de la femelle.
Un bel exemple de galanterie ? Pas si vite ! Chez les Pisaures il existe aussi des petits malins, de gros radins qui approchent la femelle avec un paquet vide ; le temps que la femelle l’ouvre, le mâle peut la féconder. De même certaines femelles peuvent prendre le paquet et s’enfuir, mais généralement le mâle reste bien accroché sous le ventre et finit par récupérer son présent qu’il ira offrir à une autre.

Manœuvre d'approche du mâle Pisaure

En dehors de son effet de diversion, l'offrande permet aux femelles de repérer les mâles dans l'obscurité. Plus le mâle aura pris du temps à emballer son présent, plus il sera clair et donc visible. C'est sans doute également un signe de vigueur qui peut permettre une sélection des mâles par la femelle.

Si le scénario est favorable, après quelques minutes, le couple se sépare. C’est ici que nous laissons le mâle qui pourra se reproduire avec d’autres femelles.

Femelle gardant sa ponte au centre de la toile
Femelle gardant sa ponte au centre de la toile

Ponte et la nurserie

Madame Pisaure, avec son stock de gamètes mâles, va pouvoir passer à une autre occupation beaucoup plus épuisante. Dans les semaines  suivantes, son abdomen gonflé, elle va, confectionner une toile grande comme un poing au milieu des herbes ou sur un buisson. C’est à l’abri de ce dôme soyeux qu’elle va pouvoir pondre ses œufs et les féconder à leur sortie. Au total, entre 100 et 150 œufs  sont expulsés et patiemment agglutinés puis entourés d’une épaisse toile blanche. Ce cocon épais de près d’un centimètre de diamètre assure la protection de la ponte et permettra son déplacement. En effet, après cette phase épuisante, la femelle transportera entre ses crochets le lourd paquet pour partir à la chasse et se nourrir.  De retour de ces escapades, elle posera son fardeau au centre de la toile, et y restera accrochée.

Naissance des araignées
Naissance des araignées

Plus tard, le cocon sera déchiré par les petites araignées qui se retrouveront dans l’espace de la toile. Celui-ci entourant la progéniture offre protection et nourriture, de nombreux moucherons se laissant piéger par les fils de cette nurserie.

Le départ

Après quelques jours, et une première mue, le temps viendra pour les jeunes arachnides de quitter la mère et la nurserie familiale. Le moment venu, elles vont, ensemble, sortir de l’abri pour rejoindre l’extrémité d’une tige. Le temps de l’émancipation est arrivé. L’abdomen dressé, les petites araignées envoient un long fil qui est emporté par le moindre courant d’air. Légère, la petite araignée finira par être emportée elle-même au bout de son fil, tirée par son cerf-volant de toile.

La dispersion des jeunes
La dispersion des jeunes

Une nouvelle vie démarre alors, loin de la protection de la mère. De cette nouvelle génération, nombreuses seront celles qui serviront de proie et seules quelques-unes arriveront à traverser les pièges pour atteindre l'âge adulte.

E. PENSA