La vie de la Processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa), la chenille qui monte..

Nid d'hiver de Processionnaire du pin
Photo 1 - Nid d'hiver de Processionnaire du pin

Alors que l’hiver contraint la majorité des animaux à rester à l’état de vie ralentie dans un œuf, un cocon, un abri ou même à quitter leur territoire, d’autres ont un développement bien différent.
Poursuivant en plein hiver et sans gêne apparente sa croissance en allant même jusqu’à sortir la nuit pour s’alimenter, la Processionnaire du pin fait partie des insectes au développement original. À ceci s'ajoute une capacité à s'étendre vers le nord à la faveur du changement climatique et de quelques aptitudes spécifiques.

Un papillon discret, mais des nids bien visibles

Si vous parcourez les lignes de cet article, il est fort probable que c’est parce que vous avez déjà vu les nids ou les chenilles, beaucoup plus qu'en raison de la découverte du papillon. Il en est ainsi chez les Thaumetopoea pityocampa, les adultes sont de banals papillons de nuit aux couleurs ternes, très discrètes, alors que les chenilles sont tellement visibles que ce sont elles qui ont donné le nom commun de Processionnaire au lépidoptère pour des raisons que nous verrons plus loin.

Le cycle de vie à basse température

Premiers instants de vie sous les écailles de la mère

Le manchon de la ponte de Processionnaire du pin et ses œufs ouverts
Photo 2 - Le manchon de la ponte de Processionnaire du pin et ses œufs ouverts

C’est en été que la femelle papillon de la Processionnaire du pin va déposer sa ponte. Si le milieu dans lequel elle se trouve n’est plus favorable à la vie de ses futures chenilles (terrain ayant été incendié par exemple), elle peut parcourir plusieurs kilomètres afin de trouver une nouvelle zone. Une fois l'arbre choisi, elle colle ses œufs, 200 en moyenne, autour de deux aiguilles en protégeant sa ponte avec des écailles détachées de son abdomen. L’ensemble forme, une fois terminé, un manchon de couleur blanchâtre de 1 à 5 cm de long (photo 2). Environ un mois plus tard, des petites larves découpent un large orifice pour sortir de l'œuf. Les jeunes chenilles longues de trois millimètres environ et couvertes de quelques poils blancs traversent ensuite les écailles du manchon pour partir à la recherche d'un premier repas.

Les débuts de la vie collective et le premier nid

Dès le début de leur vie, les jeunes chenilles restent ensemble et se déplacent les unes derrière les autres sur les rameaux à la recherche d’aiguilles. Elles vont rapidement tisser en commun un petit nid dans lequel elles s’abriteront et pourront muer (photo 3).

Le premier nid
Photo 3 - Le premier nid

La croissance de la colonie et le nid d’hiver

En automne, les chenilles abandonnent leur abri et partent tisser un grand nid de soie à l’extrémité d’un rameau bien exposé : c’est le nid d’hiver (photo 1). Beaucoup plus épais que le précédent (10 à 15 cm de diamètre), il va protéger ses occupants à la fois des prédateurs et du froid en accumulant la journée la chaleur du rayonnement solaire.
C’est dans ce nid que les chenilles passent leurs journées. La nuit, elles s'en échappent à travers son labyrinthe de soies, pour aller se nourrir.
Avoir les aiguilles d’un arbre pour nourriture leur garantit des repas illimités à moins que d'autres familles y soient installées. Bien nourries, elles vont rapidement grandir et changer à quatre reprises de peau pour atteindre, à la fin de l’hiver, une taille finale d’environ 5 cm. Au cours de leurs cinq stades de développement, elles seront de plus en plus grandes et de plus en plus poilues. Le troisième stade (après la deuxième mue) marquera l’apparition des premiers poils urticants.

Miroir mon beau miroir …

Dos d'une chenille montrant un miroir ouvert et ses poils urticants
Photo 4 - Dos d'une chenille avec un miroir visible et ses poils urticants

Si les processionnaires sont bien connues des hommes, c’est en raison de la toxicité des poils de leurs chenilles qui provoquent de graves réactions sans même les toucher. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas les longs poils visibles couvrant le corps qui posent problème, car ces derniers restent bien fixés. L'origine du danger se situe sur le dos de la chenille, au niveau de plis appelés miroirs (photo 4). C’est à l’intérieur de ces zones que sont fixées de minuscules soies. En cas de danger, les miroirs s'ouvrent et des poils s'en détachent. Dès cet instant, leur légèreté va les emporter dans l’air à la manière de poussières. Une étude a ainsi montré qu’un vent de 72 km/h pouvait les déplacer à plus de 6 km du nid.
Les poils urticants possèdent une pointe et des crochets latéraux qui font office de harpons. Une fois planté dans la peau, le poil, en se cassant, libère une protéine irritante et nécrosante, la Thaumetopoéine.
De ce fait, les chenilles processionnaires sont dangereuses aussi bien pour les animaux domestiques (surtout les chiens) que pour l'homme.

Ce moyen de défense, aussi toxique soit-il, est peu efficace pour la chenille elle-même, car son action n’est pas instantanée et les prédateurs ont le temps de la tuer avant qu’ils n’en ressentent les effets. Les poils urticants sont principalement un moyen de défense collective.

La procession à la recherche du terrain idéal

Une procession de chenille
Photo 5 - Une procession de chenilles au sol

Entre la fin de l’hiver et le printemps, les nids, dont la base est noircie par l’accumulation des excréments des larves, vont être abandonnés. Les chenilles, en file indienne, descendent alors de l’arbre et partent à la recherche d’une zone ensoleillée où la terre est assez meuble s'enfouir : c'est la fameuse procession de nymphose à l'origine du nom de l'espèce (photo 5). Lorsque l'endroit est trouvé, ensemble, elles se regroupent et creusent les unes à côté des autres pour se réfugier dans la terre à une profondeur maximum de 20 cm.
C’est dans le sol que chaque chenille va tisser ensuite un cocon roussâtre dans lequel aura lieu la transformation en une chrysalide brun-rouge.

Le temps des papillons

Sur le pourtour méditerranéen, c’est dès l’été que vont émerger les papillons. Ceux-ci, après s’être débarrassés de l’enveloppe externe de la chrysalide, vont percer le cocon pour enfin traverser la couche de terre qui les sépare de la vie aérienne.

Reconnaissance du papillon

Thaumetopoea pityocampa

Papillon de Processionnaire du pin (mâle)
Figure 1 - Papillon de Processionnaire du pin (mâle)

Le papillon de la Processionnaire du pin a un corps gris, de forme générale triangulaire vue de dessus. La tête, fortement velue comme le thorax, porte de longues antennes, faiblement pectinées chez la femelle et beaucoup plus chez le mâle. L’abdomen, plus ou moins couvert par les ailes, est roux avec des bandes transversales noires. Chez la femelle il est plus allongé et tronqué vers l’extrémité et bien plus court, terminé par de longs poils, chez le mâle. Au repos, la paire d’ailes externe (antérieures) couvre les ailes postérieures. L’envergure est de 30 à plus de 40 mm.

La Processionnaire du Pin se reconnait aux caractères suivants (Fig 1) :

  • Les ailes antérieures, grises, sont parcourues par plusieurs lignes transversales ondulées foncées plus ou moins nettes ;
  • elles portent une tache foncée en forme de demi-lune bordée d’écailles plus claires au-dessus de la première bande transversale (vers le bas de l’aile) (voir fig. 1)
  • les ailes postérieures sont blanches avec tache foncée située sur le bord interne.

Les autres espèces.

Dessin comparatif des espèces proches de la Processionnaire du pin
Figure 2 - Dessin comparatif des espèces proches de la Processionnaire du pin

Les mâles de deux autres espèces du genre Thaumetopoea ressemblent beaucoup à ceux de la Processionnaire du pin et sont les seuls à pouvoir être confondus (fig 2). Voici comment les distinguer :

  • La Processionnaire pinivore (T. pinnivora), dont les chenilles se nourrissent également d’aiguilles, possède des lignes transversales surlignées de jaune roux sur ses ailes antérieures
  • et la Processionnaire du Chêne (T. processionea) a des ailes postérieures avec une tache plus étendue et surtout elles sont traversées d’une bande sombre.

Chez cette dernière espèce, comme son nom l’indique, les larves se nourrissent de feuilles de chêne.
Des trois espèces, la Processionnaire du Pin est la seule à construire des nids d’hiver sur les rameaux.

L'abondance des nids liée à celle de la nourriture

Si la nourriture est abondante (conifères nombreux), durant plusieurs années, les générations vont se succéder toujours plus nombreuses jusqu’à ce que les chenilles soient trop nombreuses. La surpopulation entraine alors une sous-nutrition suivie d'une mortalité importante des chenilles et d'une chute du nombre de chrysalides dans le sol. S’en suit une année avec beaucoup moins de papillons et donc de nids.

Des prédateurs tout au long de la vie

La Processionnaire du pin n’est pas un papillon invasif comme la Pyrale du buis (Cydalima perspectalis). Dans un environnement non dégradé, il existe un nombre important d’espèces dépendant plus ou moins fortement de sa présence pour leur propre développement ; en voici quelques exemples.

Les prédateurs et parasites des chenilles des œufs

Hyménoptère du genre Baryscapus
Photo 6 - Hyménoptère du genre Baryscapus
(André Burgers — Licence CC BY NC)

À partir du moment où la ponte est déposée, de minuscules guêpes femelles (de 1 à 4 mm de long) peuvent venir pondre à leur tour en transperçant l’enveloppe de chaque œuf. La larve de l’hyménoptère se nourrit ensuite du contenu de l’œuf parasité et finit par en sortir en perçant un trou. Il existe ainsi plusieurs espèces dites parasitoïdes oophages plus ou moins spécifiquement liées aux Processionnaires du pin (Baryscapus servadeii, Baryscapus transversalis (photo 6), Ooencyrtus pityocampae, Trichogramme sp. ou Anastatus bifasciatus).

À ces parasites s’ajoutent des mangeurs d’œufs bien plus grands que sont les grandes sauterelles comme les Éphippigères ou même certaines espèces de punaises comme Holcogaster fibulata.

Les prédateurs et parasites des chenilles

Grand Calosome (Calosoma sycophanta)
Photo 7 - Grand Calosome (Calosoma sycophanta)

Les chenilles, malgré leurs poils urticants, sont la proie des oiseaux, dont certains, comme les mésanges charbonnières vont jusqu’à percer les nids d’hiver pour se nourrir de leur contenu. Pour éviter les poils urticants, les oiseaux vont se nourrir des chenilles des stades I et II (qui en sont dépourvues) ou chez les autres stades en extraire seulement le tube digestif. Les Coucou gris (Cuculus canorus) et Coucou-geai (Clamator glandarius) sont de grands consommateurs de chenilles processionnaires dont ils régurgitent les poils dans leurs pelotes de réjection.
Chez les insectes, les Guêpes germaniques et de petits prédateurs parcourant les rameaux à la recherche de nourriture (larve de Syrphes et de Chrysopidés par exemple) peuvent s’attaquer également aux chenilles. Au sol, ce sont les larves de carabes et notamment celles du Grand Calosome (Calosoma sycophanta) (photo 7) qui se nourrissent des chenilles. Enfin, lors de leurs sorties et de leurs processions, les chenilles sont également les proies faciles de nouveaux insectes parasites (mouches tachinaires et guêpes) qui en profitent pour déposer leurs œufs sur ou dans leurs corps.

Les prédateurs et parasites des chrysalides

Les parasites des chenilles vont souvent poursuivre leur développement à l’intérieur des chrysalides et condamner leurs hôtes. Le Bombyllidé Villa brunnea pond sur les lieux d’enfouissement des processions et ses larves vont ensuite parasiter les chrysalides. Si les Processionnaires ont échappé à tous les dangers cités précédemment, les Huppes fasciées peuvent encore retrouver, avec de leur long bec, les cocons. Elles les frottent alors au sol pour en extraire les chrysalides.

Huppe fasciée (Upupa epops) au sol
Photo 8 - Huppe fasciée (Upupa epops) au sol

Les prédateurs des papillons

Arrivés au stade papillon, les Processionnaires du pin sont une nouvelle fois les proies de nouveaux prédateurs (oiseaux, chauve-souris, araignées) qui les chassent comme d’autres lépidoptères nocturnes.

Abondance des nids et dégâts des chenilles : l’effet boomerang

Au vu de la grande diversité des prédateurs et parasites se nourrissant de la Processionnaire du pin, on pourrait s’attendre à ce qu’il n’y ait aucun problème particulier avec elle. Pourtant, certains massifs peuvent être particulièrement touchés beaucoup plus que d’autres.
Si de nombreux prédateurs existent, leur présence dans la pinède ne va pas dépendre seulement de celle des chenilles. Un parasite de chenilles processionnaires devra par exemple trouver dans un milieu les principales espèces dont son cycle de vie dépend ainsi que les conditions favorables à sa survie (des feuillages pour s’abriter par exemple). Dans les forêts où les pins sont associés à diverses espèces végétales, les attaques sont bien moins importantes en raison de la présence de nombreux prédateurs. Au contraire, dans les monocultures de résineux qui offrent un stock de nourriture quasi illimité et une très faible biodiversité, les Processionnaires auront très peu de prédateurs pour réduire leur population et les dégâts seront très importants. La population de Processionnaire d’une zone va donc être intimement liée à sa biodiversité. Si le propriétaire d’une parcelle de pinède a éliminé la majorité des essences non exploitables ou si l'usage de pesticides est courant dans la zone, il aura comme un retour de boomerang des attaques de chenilles beaucoup plus importantes.

Parlons un peu des dégâts causés par les chenilles sur les arbres puisque les résultats de recherches sur cette espèce sont souvent orientés vers ce sujet et les moyens de lutte. Pour l’arbre attaqué, la perte d’aiguilles entre l’hiver et le début du printemps aura pour conséquence de ralentir sa croissance et l’obligera à consommer beaucoup d’énergie pour reformer son feuillage aux dépens du reste (floraison, fruits, graines). Si l’arbre peut supporter une attaque isolée, la répétition de celles-ci peut fortement l'affaiblir et favoriser l'implantation de parasites comme les scolytes sous son écorce ou de champignons dans son bois qui provoquent sa mort.

Je n'aborderai pas dans ces lignes les moyens de lutte contre les chenilles puisque, vous l'avez compris, le retour de la biodiversité est la seule solution durable. Vous trouverez néanmoins dans la rubrique des liens des sites et des documents mentionnant ces "traitements"

Une espèce adaptée au changement climatique

Si on peut facilement comprendre que les cigales, dont les larves vivent plusieurs hivers à l'abri dans le sol, puissent profiter du réchauffement climatique, c'est beaucoup moins évident pour un papillon dont les chenilles passent les nuits de la saison froide à l'extérieur.

Un réchauffement qui favorise les chenilles

Des études ont montré que les chenilles, à l'abri dans leur nid, peuvent supporter des températures allant jusqu'à -16°C. Une journée froide étant suivie généralement d'une nuit encore plus fraiche, si elles n'ont pas reçu un minimum de chaleur au cours de la journée, les chenilles n'entrent pas en activité la nuit suivante. Autrement dit, si les températures diurnes sont trop fraiches, elles ne sortent pas se nourrir la nuit. Ceci expliquait le blocage de l'implantation de l'espèce vers le nord, car les chenilles qui se retrouvaient dans les zones trop froides finissaient par mourir de faim. Le réchauffement climatique en étendant les zones aux températures hivernales journalières compatibles avec les sorties nocturnes des chenilles a fait sauter cet obstacle.

Une capacité à prolonger leur période dans le sol qui aide les chrysalides

Autre barrière à franchir pour vivre plus au nord, les chrysalides ont besoin, pour devenir papillon d'un certain temps passé dans un sol assez chaud avant que l'été arrive.
Atout de taille pour cette espèce, la Processionnaire peut adapter son cycle de développement en restant, si nécessaire, au stade chrysalide plus longtemps (jusqu’à cinq années).

Adoucissement des hivers et cycle de développement à durée variable font donc de la Processionnaire du pin une espèce parfaitement adaptée au changement climatique. La visibilité des nids et l'étude relativement facile de l'espèce en ont fait un excellent modèle d'étude des conséquences du dérèglement climatique sur la faune.

Courte conclusion

Ainsi, chers "nordistes", il va falloir vous faire à l'idée que nos chenilles vont continuer à progresser vers chez vous si vous leur offrez de beaux repas d'aiguilles. Mais gardez en tête que cette expansion et surtout ses possibles dégâts sont favorisés par la monoculture de résineux et la disparition des prédateurs des Processionaires. Préserver ou restaurer la biodiversité est la seule solution à un problème humain provoqué par l'humain.

E. PENSA