La Diplotaxe fausse Roquette (Diplotaxis erucoides) : découverte d'une fleur des friches

Après avoir laissé les fleurs automnales s’épanouir, novembre signe le grand retour d’une famille incontournable, celle des Brassicacées. Dans cette famille, les plantes ont toutes des fleurs à quatre pétales étalés en croix, facile à reconnaître, même si ce seul nombre ne suffit pas comme nous le verrons plus loin.

Le premier tri des genres

Exemples de silique et silicule
Photo 1 - Silicule de Lunetière (en haut) et
silique de Moutarde sauvage (en bas)

Les genres sont séparés selon des critères reposant essentiellement sur la forme des fruits. Un premier tri peut se faire en séparant dans un premier temps :

  • les fruits allongés, étroits, ressemblant à des gousses appelés siliques ;
  • des fruits courts et, de ce fait plus larges que l’on appelle silicules.

Les Diplotaxes ont des siliques et elles nous offrent deux caractères supplémentaires menant à leur détermination :

  • le premier est qu’elles se rencontrent en abondance dans les champs et bords de routes du sud de la France ;
  • le second est qu’elles portent des siliques contenant deux rangées de graines. Ces deux rangs sont précisément à l’origine du nom du genre Diplotaxis.
Photo 2 - Les deux rangs de graines de Diplotaxis vus par transparence
Photo 2 - Les deux rangs de graines de Diplotaxis vus par transparence

Moins répandue lorsqu’elle n’est pas cultivée, la Roquette (Eruca vesicaria (L.) Cav., 1802) présente tous les points précédents, mais nous verrons plus loin comment la distinguer de ses cousines Diplotaxes.

Différences entre la silique et la gousse

Comme une gousse, la silique des Brassicacées s'ouvre par deux valves, mais quelles sont les différences entre ses deux fruits ? La gousse ouverte porte sur chacune de ses valves des graines, la silique est par contre cloisonnée et les graines sont portées par cette séparation. Lorsqu'on ouvre une silique, on aperçoit donc une cloison portant des graines.

Palmarès des découvertes

Au mois de novembre, si vous voyez sur vos trajets en voiture, des fleurs blanches éparpillées ou couvrant des champs en friche entiers, vous avez votre première espèce en vue, la plus commune du genre: la Diplotaxe fausse Roquette (Diplotaxis erucoides (L.) DC., 1821).

Toujours au bord des routes et des champs, l’espèce aux fleurs jaunes la plus visible est la Diplotaxe à feuilles étroites (Diplotaxis tenuifolia (L.) DC., 1821).

Le genre Diplotaxis ne comportant pour notre flore que quatre espèces, j’ajouterais à ces deux inratables, deux plantes plus discrètes aux fleurs jaunes :

  • la Diplotaxe des murailles (Diplotaxis muralis (L.) DC., 1821) fréquente dans les champs, terrains vagues et vieux murs, mais dont la floraison s’achève en principe en octobre;
  • et la Diplotaxe des vignes (Diplotaxis viminea (L.) DC., 1821) dont les petites fleurs ne facilitent pas sa découverte malgré leur couleur jaune.

Pour découvrir ce genre et sa famille, nous nous contenterons de la plus répandue, la Diplotaxe fausse Roquette (Diplotaxis erucoides (L.) DC., 1821).

À la rencontre de la fausse Roquette

Avec ses quatre pétales blancs et ses siliques à doubles rangs de graines, vous êtes paré pour partir à la recherche de la Diplotaxe fausse Roquette aperçue sur votre trajet. En novembre, l’observation pouvant être un peu compliquée par le temps, après avoir vérifié que vous avez la bonne plante et s’il existe de nombreux pieds sur le lieu de sa découverte, vous pourrez repartir avec un bout fleuri délicatement coupé en prenant soin d’inclure les fruits situés au-dessous.

Pour tout vous dire, la Diplotaxe fausse Roquette fut la première plante que j’ai observée de près après l’avoir étudiée quelques années auparavant en faculté de sciences. Jusqu’à ce que je puisse zoomer ses fleurs sous la binoculaire j’ai cru qu’elles n’étaient formées que d’éléments basiques, pétales, sépales, pistil et étamines. Mon premier article sur la plante est resté ainsi très sommaire et incomplet et je répare l’affront que j’ai pu faire à ma favorite en publiant ces nouvelles lignes.

Les différences avec la vraie Roquette

S’il existe de nombreux points communs entre vraie et fausse Roquette, on pourra facilement les distinguer avec deux détails :

  • Les pétales de la fleur de la Roquette (Eruca vesicaria (L.) Cav., 1802) sont blanchâtres à jaune clair et portent des veines violet foncé ;
  • Le fruit, s’il contient comme chez les Diplotaxis deux rangs de graines a, en plus, un bec comprimé en forme de sabre.
Étape par étape : découverte de la fleur de la Diplotaxe fausse Roquette

Une bonne loupe, une pince fine ou, à défaut, un cure-dents seront le matériel nécessaire à notre tour de fleur. Pour commencer, détachez la fleur en gardant sa queue, puis observez-là par-dessus pour de repérer les quatre grandes étamines.

Étape 1 : un sépale abaissé (dessin 1)

En la tenant par son pédoncule, placez-la face à vous et tournez-la de manière à positionner 2 grandes étamines à gauche et les 2 autres à droite. Dans cette position, vous avez face à vous un des quatre sépales que vous allez simplement abaisser pour mieux y voir.
Vous y êtes ? À ce stade, votre vue doit correspondre à la photo 3 .

Photo 3 : Vue de la fleur de face avec les sépales abaissés
Photo 3 : Vue de la fleur de face
avec les sépales abaissés

Le sépale que vous avez baissé cachait la base des deux pétales qui vous font face, vous remarquerez que chacun d’entre eux est composé d’une longue portion étroite (l’onglet) suivie de la zone large étalée vers l’extérieur, c’est elle qui sert de piste d’atterrissage pour les insectes. Entre les deux pétales, on aperçoit une étamine.

Observez à présent sur les côtés à la base des pétales. Avec une loupe, vous apercevrez deux petites protubérances ovales vertes : ce sont les nectaires, des petites glandes dont le rôle est de produire la récompense pour les visiteurs de la fleur et ce qui va faire qu’ils auront envie d’en visiter d’autres comme elle, le nectar. Ce liquide sucré est léché par certains insectes (abeilles), aspiré par d’autres (papillons) et toujours recherché avec une grande gourmandise quitte à devoir plonger la tête dans la fleur et repartir couvert de pollen jusqu’au front. L'ensemble des caractères décrit précédemment se retrouvent sur le dessin 1.

Étape 2 : retrait de 2 pétales (dessin 2)

Cette manipulation ne devrait pas être trop compliquée, il suffit pour cela de saisir chaque pétale dont on vient de parler par sa portion large, l’abaisser puis tirer délicatement pour qu’il se détache.

À présent vous avez une vue sur l'étamine dégagée située face à vous. Celle-ci est plus courte que les quatre latérales, et une dernière identique est cachée de l’autre côté de la fleur.

L’ensemble des étamines forme l’androcée qui correspond à la partie mâle de la fleur. Il est composé chez la Diplotaxe fausse Roquette de 6 éléments : deux étamines courtes et quatre longues. Dans le jargon botanique, on le qualifie de tétradyname. C’est la grande particularité de la famille des Brassicacées avec les quatre pétales en croix.

Vous avez maintenant les deux nectaires précédents bien visibles et peut-être une goutte de nectar suintant de l’un d’eux.

Étape 3 : retrait de l’étamine courte (dessin 3)

C’est l’opération la plus compliquée, celle qui nécessite une pointe fine ou un cure-dents. Comme pour les pétales, vous allez abaisser l’étamine puis la tirer en douceur. Il se peut que vous ayez besoin de vous y reprendre à deux fois.

Une fois l’extraction réussie, vous vous apercevrez que derrière l'étamine, se cachait un autre nectaire qui parait plus large. Il y en a donc, en tout, quatre. Ce qui parait étrange est la position de celui-ci, au dos de la petite étamine alors que les deux latéraux se trouvent entre les deux grandes étamines, mais nous expliquerons cela une autre fois.

Étape 4 : retrait de deux étamines longues (dessin 4)

C’est encore un peu délicat, mais cela vous offrira une vue sur une moitié de fleur. Vous avez maintenant, bien visibles, les deux nectaires latéraux et le pistil central. Avec une bonne loupe, vous remarquerez que celui-ci comporte deux zones distinctes : vers le sommet, le stigmate et le style et, en dessous, la paroi d’un carpelle qui sera plus tard un des deux opercules de la silique. La partie femelle est donc composée de deux loges et à l’ouverture du fruit, nous verrons qu’elles contiennent chacune deux rangs d’ovules chacune.

Nous sommes arrivés au bout de notre découverte, si nous devions entrer davantage dans les détails, nous pourrions représenter la fleur sous la forme d’un plan schématique appelé diagramme floral, mais ce sera le sujet d’un autre article.

L'orientation des sacs de pollen et l'efficacité de la pollinisation

Si l'on observe attentivement le sommet des longues étamines, on s'aperçoit que leur pollen s'y déverse vers l'extérieur de la fleur. Les deux sacs polliniques ainsi orientés donnent une étamine dite extrorse. Par contre, les deux petites étamines sont introrses, le pollen est déversé vers l'intérieur de la fleur.

Cette position des sacs présente plusieurs avantages, le premier est que le pollen situé le plus haut, donc le plus près du pistil, à moins de chance de se retrouver sur le stigmate de sa propre fleur et provoquer une autofécondation (pas sûr qu'elle soit d'ailleurs possible). Les petites étamines situées sous le pistil ne présentent aucun risque. Si on se place maintenant à la place de l'insecte venant visiter la fleur, celui-ci, après s'être posé, va chercher les nectaires et donc avancer sa tête. Dans son exploration, il va devoir toucher les sacs polliniques et va donc couvrir sa tête de pollen (voir photo 4). Dans sa recherche de nectar, il va passer sa trompe ou sa langue entre les pétales et c'est là que les petites étamines vont lui coller également leur pollen. L'orientation des sacs semble donc idéale à la fois pour éviter l'autofécondation et pour optimiser la pollinisation.

Photo 4 - Pollinisation de la Diplotaxe fausse Roquette par une abeille domestique
Photo 4 - Pollinisation de la Diplotaxe fausse Roquette par une abeille domestique
Après la fleur, la lente "descente" du fruit !

Sur l'Amandier, la fleur sur son pédoncule va faner puis lentement se transformer en amande sur place. Chez la Diplotaxe, les fleurs épanouies se trouvent vers le sommet de l’inflorescence et la zone réellement à la pointe est celle qui développe les bourgeons floraux. Au fur et à mesure que ceux-ci deviennent des fleurs, l’inflorescence s’allonge et ressemble de plus en plus à une grappe. La fleur commence sa vie vers le sommet, puis, tout doucement, migre vers l'un des côtés, comme si elle glissait vers le bas. Les plus anciennes des fleurs se retrouvent en bas de la grappe et correspondent aux fruits les plus murs.

Photo 5 - Fleurs et siliques de Diplotaxe fausse Roquette
Photo 5 - Fleurs et siliques de Diplotaxe fausse Roquette

Chez notre fleur, dans un premier temps, les pétales vont faner, puis ce sera au tour des étamines ainsi que des sépales. Le pistil sur le réceptacle du pédoncule va subir lentement sa transformation en fruit. Il s’allonge, ses ovules fécondées deviennent des petites graines qui vont gonfler jusqu’à déformer la paroi de l’opercule. Dans un dernier temps, celui-ci sèche et finira par se détacher en laissant s'échapper les graines. Ces dernières germeront ou seront emportées par des fourmis qui assurent leur dissémination en perdant une partie de leur cargaison autour de leur long voyage vers la fourmilière.

Dessin 5 - Passage de la fleur au fruit et libération des graines
Dessin 5 - Passage de la fleur au fruit et libération des graines

Ainsi s’achève l’histoire de la fleur de Diplotaxe, les graines abandonnées finiront par faire pousser de nouvelles plantes, après un épisode de pluie et une nouvelle floraison suivra.

E. PENSA