Histoire de la forêt méditerranéenne sur le Mont Faron

Les pins doubles du Mont Faron
Les pins doubles
du Mont Faron

Il existe au nord de la ville de Toulon, une colline appelée Mont Faron portant sur son sommet et sur ses flans des fortifications de l'époque de Vauban. Autour d'elles pousse une végétation clairsemée marquée par le passage des incendies et par son histoire.

Une route à sens unique permet d'accéder à son sommet ainsi qu'un téléphérique. Arrivé en haut, de nombreuses activités vous attendent (randonnée, visites de monuments, zoo, restaurant), le tout sous une pinède.

Des pins doubles

La première caractéristique de la pinède du Mont Faron est ses arbres collés par deux qui semblent pousser dans de petites dépressions. La seconde, une plante qui ressemble beaucoup au colza, mais qui est en fait une espèce très rare de chou sauvage, le Chou de Robert (Brassica montana).

Le chou de Robert, espèce protégée
Le chou de Robert,
espèce protégée

De la forêt au désert de pierres.

Il était une fois une montagne couverte de Chênes verts et de Pins d’Alep qui nourrissait et protégeait une population installée à ses pieds. L’homme croyant la forêt invulnérable l’exploita tellement qu’elle se transforma en désert de pierres.

Cette montagne, idéale pour nous donner une leçon d’écologie, s’appelle le Mont Faron, vaste bloc calcaire dominant la ville de Toulon. Son histoire, loin d’être unique, reflète celle de la forêt méditerranéenne et nous montre concrètement l’influence que l’homme a pu y exercer au fil des siècles.

Lorsque les hommes s’installèrent sur les côtes toulonnaises, ils durent pour se nourrir, chasser et pêcher. Les premières ressources sont donc venues naturellement de la mer et de la montagne la plus proche, notre actuel Faron.

Au fil des siècles, l’empreinte de l’homme s’est gravée sur le visage de la montagne. Par sa base, la forêt a commencé à disparaître pour céder la place à des restanques plantées de vignes et d’oliviers. Les garrigues, entretenues par les troupeaux de chèvres et de moutons, ont donné une des matières premières de la teinturerie : la cochenille du Chêne kermès.

Le commerce se développant, la mer devint rapidement une menace pour la population soumise aux assauts réguliers d'envahisseurs. Pour se protéger et anticiper ces attaques, la montagne, idéalement placée, servit de poste de surveillance, on la nomma la Bada (= vigie en celto-ligure). À l’extrémité est du massif, à l’emplacement actuel du Fort de La Croix Faron, on construit un farot c'est-à-dire une tour de guet dans laquelle des Valettois, sous contrat avec le terroir de Toulon, devaient assurer une surveillance permanente de la côte. Pour chaque navire suspect, ils allumaient un feu d’avertissement à la population (d’après des notes datant de 1355). De nombreux arbres, arbustes et buissons furent consumés dans le farot qui est à l'origine du nom Faron.

Le désert de pierres encore présent dans certains secteurs
Le désert de pierres encore présent dans certains secteurs

La forêt,d’année en année, régressa pour totalement disparaître dans toute la partie communale. Les arbres n’abritant plus par leur feuillage les averses des saisons humides et leurs racines ne retenant plus leur terre nourricière, la montagne chauve de sa végétation vit rapidement son sol, emporté par les orages, descendre vers la ville.

S’il est difficile de dater la désertification du Faron, il est sûr que celle-ci était bien avancée il y a plus de 400 ans comme semblent le signifier des archives de l’Hôtel de Ville du 19 février 1586 évoquant les « montagnes voisines tellement incultes et stériles » du terroir toulonnais.

Cette situation s’aggrava pendant les 250 ans qui suivirent pour arriver à une désertification presque totale des terrains communaux :

« La partie communale qui commence aux barres rocheuses presque infranchissables qui se trouvent à mi-côte ne se compose que de vastes bancs de blocs déchaussés et de pierres roulantes sur lesquels, il y a 20 ans, on n’aurait pas trouvé un brin d’herbe. Ce n’est pas sans quelques apparences de raison que l’on traitait de fous ceux qui parlaient de reboiser ces vastes étendues de rochers; car le mouton et la chèvre avaient dévoré jusqu’à la racine des dernières graminées et une grande partie de la rade se trouvait obstruée par les terres que les orages avaient peu à peu entraînées dans le torrent du Las et les fossés des remparts. On peut donc dire sans exagération que le squelette de la montagne restait seul et présentait aux yeux son aspect dénudé comme une immense et irréparable ruine» Extrait de la Revue des forêts, 1873

La renaissance de la forêt : Robert et Vincent et le mystère des pins collés.

Les pins du Mont Faron
Les pins doubles du Mont Faron

Après sa longue période de dénudation, le massif, perdu à jamais pour les Toulonnais, eut la chance d’intéresser M. Robert, pharmacien de la Marine, qui étudia pendant des années la flore de la région toulonnaise. Aux alentours de 1850, il eut l’idée de semer à la volée sur le Faron des graines diverses tout en se baladant. À la surprise générale, ces semis donnèrent à côté de nombreux échecs, quelques beaux massifs de Pins d’Alep, Pins pignon et Pins maritimes. En 1850 la municipalité septique alloua à M. Robert la somme de 600 francs pour qu’il poursuive ses actions. D’année en année, le grand caillou des Toulonnais s’orna de quelques « oasis » de verdure et les allocations de la ville augmentèrent. Après Robert, un de ces élèves M.J. Auzende prit la relève.

Dans cette même période, un Toulonnais nommé Émile Vincent travaillant aux « Eaux et forêts » (Office National des Forêts aujourd'hui) après avoir passé un an à Strasbourg puis à Toulouse en tant que Garde général sédentaire à la conservation des forêts est muté dans sa ville.

En 1864, soucieuse d’accélérer le reboisement et encouragée par le docteur Turrel, la municipalité décide de demander la soumission de ses terrains au régime forestier. Ce sont donc les « Eaux et forêts » qui poursuivent les travaux. Deux ans plus tard c’est Émile Vincent, nommé Inspecteur-chef des services à Toulon qui prend le reboisement en main. Les méthodes vont alors changer, pendant une trentaine d’années des équipes de forestiers creuseront sur l’ensemble de la superficie communale, y compris sur les versants les plus abrupts de grands trous appelés potets.

Le reboisement.

« La nature du sol ne permettant pas d’établir des carrés ou des bandes horizontales, il fut décidé que l’on creuserait des potets auxquels on donna 80 cm à 1m de côté. Encore dut-on avoir grand soin de choisir les places où la roche présentait des fissures plus ou moins verticales dans lesquelles les jeunes arbres puissent enfoncer leurs racines. L’ouvrier avait besoin d’étudier avec attention la montagne et ce n’est qu’après plusieurs essais qu’il reconnaît avec assez de sûreté et par des sondages, l’emplacement le plus favorable pour un potet, s’il rencontre un banc de roches horizontal, il faut qu’il abandonne le trou commencé. » E. Vincent.

La pinède du Mont Faron
La pinède du Mont Faron

Ainsi, tels des forçats, des ouvriers forestiers ont creusé à la barre à mine plus de 100000 trous au fond desquels ils déposaient les restes de terre qu’ils avaient pu retrouver. Dans chaque trou ils semèrent deux graines de pin d’Alep, du pin pignon ou du pin maritime. À ceci s’ajouta le chêne vert et dans certains potets, des espèces nouvelles comme l’acacia ,le cèdre, l’ailante, le caroubier, l’arbre de Judée et l’eucalyptus.

La leçon.

Ainsi s'explique la présence de ces pins collés. Plus d’un siècle plus tard si une pinède couvre encore le Faron, ce n’est que grâce à la volonté et aux efforts acharnés d’une vingtaine d’hommes héroïques.

On retiendra ,de cette longue histoire, que l’équilibre naturel est fragile, l’exploitation excessive de la forêt conduit inexorablement au déboisement, à la disparition du sol et à la désertification. Le retour en arrière est long et difficile ; même de nos jours la forêt de chêne vert est absente du Faron car le sol, acide des aiguilles de pin, est beaucoup plus long à se reconstituer.

De nos jours, de nouveaux fléaux menacent cette forêt, l’incendie est déjà passé à plusieurs reprises, les vieux pins, fragilisés par la sécheresse, sont facilement attaqués par des scolytes. Il faudra être patient, prudent et responsable pour que la pinède reste et alors, peut-être qu'un jour, la yeuseraie reviendra. En attendant, pour les Toulonnais, le Faron reste « le caillou » dont l’avenir est incertain malgré son classement.

E. PENSA