La répartition des êtres vivants dans notre environnement

Nous n'y prêtons guère attention, mais, tout autour de nous, dans l'environnement, les nombreux êtres vivants ne sont pas répartis uniformément ni au hasard: par exemple, dans une vallée, les arbres sont plus nombreux le long d'un cours d'eau; en forêt, les mousses se développent mieux dans les zones ombragées, orientées au Nord; au-delà d'une certaine altitude, les arbres ne poussent plus; la végétation n'est pas la même sur le versant d'une montagne exposé au Sud (l'adret) que sur le versant exposé au Nord (l'ubac). Et ce ne sont là que quelques exemples simples parmi la communauté végétale...

L'environnement : des caractéristiques physiques mesurables

Notre environnement peut en particulier être défini par un ensemble de grandeurs mesurables avec des appareils: on parle des caractéristiques physiques de notre environnement. Quelles sont-elles?

  1. La température.
    Une première caractéristique physique simple, c'est la température, mesurée, c'est connu, avec un thermomètre: on peut ainsi mesurer la température de l'air, de l'eau, du sol... Elle s'exprime en degrés Celsius ou centigrades (°C). Par exemple, on dira que l'on a mesuré une température de 25°C.
  2. L'humidité.
    L'humidité correspond à la quantité d'eau liquide ou sous forme vapeur (gaz) présente dans l'air (sous forme de brume, nuages, brouillard...): mesurée avec un hygromètre, elle s'exprime en pourcentage (par exemple, une humidité de 30% est faible; à 80%, elle est forte).
  3. L'éclairement.
    L'éclairement, ou luminosité, c'est la quantité de lumière reçue à un endroit précis: elle est mesurée avec un luxmètre et est exprimée en lux. Par exemple, par temps gris (ciel couvert), l'éclairement dépasse assez rarement plus de quelques milliers de lux; par contre, par beau temps (ciel dégagé, en plein soleil), il peut atteindre plusieurs dizaines de milliers de lux (jusqu'à 100.000 environ).
  4. La quantité d'oxygène et de dioxyde de carbone.
    Que ce soit dans l'air ou dans l'eau, on peut y mesurer la quantité de certains gaz, notamment les gaz respiratoires que sont l'oxygène et le dioxyde de carbone :
    • Pour mesurer la quantité d'oxygène, on utilise une sonde à oxygène, ou oxymètre :
      • dans l'air, les mesures sont exprimées en pourcentage (typiquement, 21% d'oxygène dans l'air ambiant);
      • dans l'eau, les mesures sont exprimées en milligrammes par litre d'eau (noté mg/mL; souvent, entre 4 et 12 mg/L);
    • Pour mesurer la quantité de dioxyde de carbone, on utilise une sonde à dioxyde de carbone: dans l'air, on mesure environ 0,035% de dioxyde de carbone (catégorie gaz rares); dans l'eau, la quantité de dioxyde de carbone s'exprime en dizaines de milligrammes par litre d'eau.
      [La quantité de dioxyde de carbone peut également être estimée, sans véritable précision, en utilisant un réactif chimique: l'eau de chaux. En effet, lorsque la quantité de dioxyde de carbone augmente dans un milieu de vie, l'eau de chaux, au départ limpide (comme de l'eau), devient trouble, laiteuse, ce qui est un bon indicateur qualitatif de cette augmentation.]
  5. L'agitation de l'eau.
    L'agitation de l'eau ne peut qu'être estimée visuellement selon des observations simples: on dira, par exemple, que l'eau de telle ou telle rivière est calme ou agitée. Cela peut paraître banal à première vue, mais nous verrons que cette agitation peut avoir toute son importance...

Il faut savoir qu'il existe une relation entre certaines de ces caractéristiques physiques: par exemple, la température de l'eau, son agitation et sa teneur en oxygène dissous sont liées. Plus précisément, c'est la quantité d'oxygène dissous dans l'eau qui dépend d'une part de la température de l'eau, et d'autre part de l'agitation de cette eau: plus l'eau est fraîche et agitée, plus elle est riche en oxygène (à 0°C, l'eau contient plus de 14 mg/L d'oxygène); au contraire, plus l'eau est chaude et calme, moins elle contient d'oxygène (à 30°C, la quantité d'oxygène peut tomber en dessous de 5, voire 4 mg/L).

On peut également mesurer un certain nombre d'autres caractéristiques dans l'environnement, notamment celles qui sont liées à la pollution: présence de substances toxiques (métaux lourds comme le mercure ou le plomb, oxydes d'azote, monoxyde de carbone, dioxyde de soufre, pesticides, gaz à effet de serre comme le méthane ou les hydrofluorocarbures, etc.), turbidité de l'eau, et encore bien d'autres.

Un premier exemple : la répartition des cloportes dans un jardin

1. Des observations simples pour s'interroger

Les Cloportes sont de petits Animaux mesurant entre 1 et 2 cm de long, du groupe des Crustacés (eh non: ce ne sont pas des Insectes! En effet, les Insectes possèdent trois paires de pattes articulées, et non sept paires pour les Cloportes – parmi d'autres différences). Ils sont communs dans les parcs et jardins, où les enfants les connaissent souvent bien pour leur capacité à se rouler en boule en cas de danger (à ne pas confondre avec les Gloméris, qui ne sont pas des Crustacés mais des Myriapodes, et qui savent, eux aussi, se rouler en boule en cas de danger).

Dans les jardins, les parcs, où même en forêt, on ne trouve pas de Cloportes n'importe où: en général, ils sont peu visibles, comme s'ils se cachaient, sous des morceaux d'écorce d'arbre, entre les feuilles de la litière ou bien sous des pierres; par contre, sur les morceaux d'écorce d'arbre, sur les pierres, les Cloportes sont en général absents: comment expliquer cette répartition particulière ?

Cloporte
Cloporte
2. Une répartition qui dépend de la température, de l'humidité et de l'éclairement

Il est facile de montrer, par des mesures simples, que, sous les pierres, dans la litière, sous des morceaux d'écorce, il fait frais, sombre et humide, alors qu'au contraire, sur les pierres ou les morceaux d'écorce, il fait souvent nettement plus chaud, plus sec et avec beaucoup plus de lumière. Et ce n'est évidemment pas par hasard si les Cloportes se trouvent là où ils sont: c'est que, précisément, ils préfèrent les milieux sombres, humides et frais.

Ces préférences peuvent être révélées par des expériences de laboratoire, à partir d'élevages de Cloportes dans des vivariums qui reconstituent leur milieu de vie, fortement humides, frais et peu éclairés. On confectionne alors deux compartiments, dont le second, séparé du premier par une cloison ajourée (permettant la libre circulation des Cloportes entre les deux...) sera très différent, par exemple, plus sec, sensiblement plus chaud et fortement éclairé [en fait, pour être parfaitement rigoureux, il faut modifier une seule condition à la fois – la température OU l'humidité OU l'éclairement – de façon à être sûr quant à l'origine de l'effet observé; si l'on fait varier tous ces paramètres à la fois, on risque de ne pas savoir exactement d'où provient le résultat obtenu – c'est une question de rigueur scientifique!]. Le résultat de ce type d'expérience est prévisible: les Cloportes «fuient» le compartiment chaud, sec et éclairé pour se réfugier dans celui qui est sombre, humide et frais: C.Q.F.D.!

Un deuxième exemple : la répartition des poissons dans un cours d'eau

1. Des observations simples pour s'interroger

Tous les pêcheurs le savent bien: les différentes espèces de poissons qui peuplent un cours d'eau ne sont pas présentes aux mêmes endroits. Par exemple, les Truites se rencontrent dans la partie supérieure des cours d'eau, comme les torrents de montagne; par contre, les Carpes se rencontrent dans la partie inférieure des cours d'eau, comme les fleuves de plaine. Ces faits ont d'ailleurs permis de définir des zones de pêche: zones à Truite, zones à Ombles, zones à Brèmes, etc. Comment expliquer cette répartition particulière ?

1 Truite / 2 Brême
1 Truite / 2 Brême
2. Une répartition qui dépend de la température de l'eau, de son agitation et de la quantité d'oxygène dissous dans l'eau.

Des mesures dans différentes stations.
On peut schématiquement subdiviser un cours d'eau en trois grandes parties: le cours supérieur (ou amont), le cours moyen et le cours inférieur (ou aval). On peut alors se demander si les caractéristiques physiques d'un cours d'eau sont les mêmes quel que soit l'endroit où l'on se trouve: intuitivement, l'on se doute bien que ce n'est certainement pas le cas. Pour en être sûr, on peut se livrer à un ensemble de mesures, réalisées dans différentes stations le long du cours d'eau: l'on pourra alors relever, par exemple, les valeurs suivantes (notons que ces considérations d'ordre très général dépendent également de la saison au cours de laquelle les investigations sont entreprises) :

  • Dans le cours supérieur, l'eau est fraîche (par exemple, 15°C), elle est fortement agitée (les cours d'eau, en montagne, prennent souvent la forme de torrents, dont le courant est rapide et tumultueux) et riche en oxygène dissous (souvent plus de 10 mg/L);
  • Dans le cours moyen, les valeurs mesurées ne sont déjà plus les mêmes: l'eau y est moins fraîche (par exemple, 20°C), moins agitée et moins riche en oxygène (par exemple, 8 mg/L);
  • Dans le cours inférieur, ces valeurs ont encore changé: l'eau y est encore plus chaude (par exemple, 25°C), plus du tout agitée (les cours d'eau, en plaine, prennent souvent la forme de fleuves, dont le courant est lent et calme) et pauvre en oxygène (souvent moins de 6 mg/L).

Dès lors, se pourrait-il que ces différence mesurées aient une influence sur la répartition des poissons? Et comment le démontrer de façon simple?

Des espèces qui présentent des besoins en oxygène différents.
Revenons à nos moutons... pardon! A nos poissons!! Il est possible de déterminer les exigences en oxygène selon les espèces. Par exemple:

  • Les Truites, de façon générale (il en existe de nombreuses espèces, comme la Truite fario) ont besoin d'au moins 7 mg/L d'oxygène (quantité minimale pour assurer la survie de la plupart des individus);
  • Les Brèmes, elles, ont des besoins plus faibles: au moins 4 mg/L.

Ainsi, il apparaît clairement que la répartition de ces animaux est bien sous l'influence de leurs besoins en oxygène, donc de la quantité d'oxygène dissous dans l'eau:

  • Une Truite, qui a de forts besoins en oxygène, vit donc dans le cours supérieur, où l'eau est riche en oxygène;
  • Une Brème, au contraire, a de plus faibles besoins en oxygène, et vit donc dans le cours inférieur, où l'eau est moins riche en oxygène.

Tout cela est donc cohérent; mais les choses ne s'arrêtent pas là !

En effet, on peut montrer que, plus une eau est fraîche et agitée, plus elle est riche en oxygène: c'est précisément le cas dans les torrents, lieux privilégiés pour les Truites; au contraire, plus une eau est chaude et calme, moins elle est riche en oxygène: et c'est précisément le cas des fleuves de plaine, lieux privilégiés pour les Brèmes...
Et l'on peut même encore pousser le raisonnement plus loin encore!
En effet, les torrents se caractérisent par un fort courant, contre lequel les Truites doivent constamment lutter pour ne pas se laisser emporter: l'effort physique qu'elles doivent mettre en place les mène à consommer beaucoup d'oxygène. Les Truites font ainsi partie des poissons dits actifs, à forts besoins en oxygène. Au contraire, les cours d'eau qui coulent dans les plaines se caractérisent par un faible courant, et les Carpes, par exemple, n'ont pas particulièrement à lutter car l'eau ne les emporte pas: elles n'ont donc pas d''effort physique particulier à mettre en place, donc leur consommation en oxygène reste plutôt faible. Les Carpes font ainsi partie des poissons dits inactifs, à faibles besoins en oxygène.

Conclusion

On a donc pu démontrer, par une démarche scientifique déductive simple, que la répartition des êtres vivants dans notre environnement dépendait bien des caractéristiques physiques de cet environnement: température, humidité, éclairement, quantité d'oxygène dissous dans l'eau.

"L’œil ne voit que ce que l'esprit est prêt à comprendre"
Henri Bergson

Eaux calmes d'un étang
Eaux calmes d'un étang

Article écrit par David EspessetChercheur indépendant en philosophie des sciences, épistémologie et évolution non darwinienne.